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est ici l’emblème de l’idolâtrie, à laquelle s’était livré dans ses murs le peuple d’Israël en se séparant du Seigneur. Avant donc de marcher, avec le glaive spirituel, contre le royaume du démon établi par tout l’univers, le Christ encore enfant enleva à sa domination ces premières dépouilles de l’idolâtrie ; détachant les Mages de cette superstition contagieuse après les avoir déterminés à l’adorer lui-même ; leur parlant du haut du ciel par le moyen d’une étoile, avant de parler sur la terre par l’organe humain de la pensée ; leur apprenant en même temps, non par la bouche, mais par l’impression du Verbe fait chair, qui il était, dans quelle région et en faveur de qui il était venu au monde. Car ce même Verbe qui dès le commencement était Dieu en Dieu et qui venait de se faire chair pour habiter parmi nous, était en même temps près de nous et dans le sein de son Père, ne quittant point les anges dans le ciel, et sur la terre nous attirant à lui par le moyen des anges ; faisant, par son Verbe, briller l’immuable vérité aux peux des habitants des cieux, et obligé, par l’étroitesse de l’étable, de demeurer couché dans une crèche ; montrant dans le ciel une étoile nouvelle, et se présentant lui-même aux adorations de la terre. Et néanmoins cet Enfant si puissant, ce Petit si grand, s’enfuit en Égypte porté sur les bras de ses parents, pour échapper à l’inimitié d’Hérode. Ainsi disait-il à ses membres, non par ses paroles, mais par ses actions et en gardant le silence : « Si on vous persécute dans une ville, fuyez dans une autre[1] ». Pour nous servir en effet de modèle, ne s’était-il point revêtu d’une chair mortelle, d’une chair où il devait souffrir pour nous la mort au temps convenable ? Aussi les Mages lui avaient-ils offert, non-seulement de l’or pour l’honorer et de l’encens pour l’adorer, mais encore de la myrrhe pour témoigner qu’on devait l’ensevelir un jour. Il fit voir aussi, dans la personne ès petits enfants mis à mort par Hérode, ce que devaient être, quelle innocence et quelle humilité devaient avoir ceux qui mourraient pour sa gloire. Car les deux ans qu’ils avaient rappellent les deux commandements qui comprennent toute la Loi et les Prophètes[2].

3. Mais qui ne se demande avec surprise pourquoi les Juifs, questionnés par les Mages, leur firent connaître d’après l’Écriture en quel lieu devait naître le Christ, sans aller l’adorer avec eux ? Ce phénomène ne se reproduit-il pas encore aujourd’hui sous nos yeux, puisque les pratiques religieuses auxquelles se soumettent ces cœurs durs ne prêchent que le Christ en qui ils refusent de croire ? Quand aussi ils immolent et mangent l’Agneau pascal[3], ne montrent-ils pas le Christ aux Gentils, sans pourtant l’adorer avec eux ? Et quand rencontrant des hommes qui se demandent si les passages des Prophètes relatifs au Christ n’ont pas été composés après coup par des chrétiens, nous les renvoyons aux exemplaires que les Juifs ont en main, afin de dissiper leur doute ; alors encore n’est-ce pas les Juifs qui montrent le Christ aux Gentils sans vouloir l’adorer avec eux ?

4. Pour nous, mes biens-aimés, dont les Mages étaient comme les prémices ; pour nous qui sommes l’héritage de Jésus-Christ jus qu’aux extrémités de la terre ; pour nous en faveur de qui une partie d’Israël est tombée dans l’aveuglement jusqu’à ce que soit entrée la plénitude des Gentils[4] ; pour nous qui connaissons notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, et qui savons qu’afin de nous consoler il a été jeté dans un étroit réduit et qu’il trône au ciel pour nous élever jusqu’à lui ; ayons soin, en le prêchant sur cette terre, dans ce pays où vit notre corps, de ne pas repasser par où nous sommes venus, de ne pas reprendre les traces de notre première vie. Voilà pourquoi les Mages ne retournèrent point par le chemin qui les avait amenés. Changer de chemin, c’est changer de vie. À nous aussi les cieux ont raconté la gloire de Dieu[5] ; nous aussi nous avons été amenés à adorer le Christ par la vérité qui brille dans l’Évangile, comme brillait l’étoile dans le ciel ; nous aussi nous avons prêté une oreille docile aux prophéties publiées par les Juifs, au témoignage rendu par ces Juifs qui ne marchent pas avec nous ; nous aussi nous avons vu dans le Christ notre Roi, notre Pontife et la victime immolée pour nous, et nos louanges ont été pour lui comme une offrande d’or, d’encens et de myrrhe : il ne nous reste donc plus qu’à suivre un chemin nouveau, pour publier sa gloire, qu’à ne retourner point par où nous sommes venus.

  1. Mat. 10, 23
  2. Mat. 22, 37-40.
  3. Exo. 12, 9.
  4. Rom. 11, 25.
  5. Psa. 18, 2.