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Dieu ce que vous avez fait entendre extérieurement aux oreilles les uns des autres. Voici en effet ce que vous venez de chanter : « Sauvez-nous, Seigneur notre Dieu, et rassemblez-nous du milieu des gentils, afin que nous bénissions votre nom[1] ». Or, vous serez séparés des gentils si vous ne prenez aucun plaisir à ce qu’ils font aujourd’hui, à leurs joies profanes et charnelles, au bruit de leurs chants si vains et si honteux, à leurs festins et à leurs danses ignobles, à la solennité et à la fête menteuse qu’ils célèbrent.

2. Oui, vous avez chanté, et l’écho de ce chant sacré est encore à vos oreilles : « Sauvez-nous, Seigneur notre Dieu, et rassemblez« nous du milieu des gentil ». Comment être rassemblé du milieu des gentils autrement qu’en se sauvant ? Rester mêlé au milieu d’eux, c’est ne pas se sauver ; mais se rassembler du milieu d’eux, c’est obtenir le salut que donne la foi, que donne l’espérance, que donne une charité sincère, en un mot le salut spirituel attaché aux promesses de Dieu. Il ne suffit donc pas, pour être sauvé, de croire, d’espérer et d’aimer ; l’important est ce que l’on doit croire, espérer et aimer ; car nul ne vit ici-bas sans ces trois sentiments de foi, d’espérance et d’amour. Mais pour être rassemblé du milieu des gentils, c’est-à-dire pour être séparé d’eux, il ne faut ni croire ce qu’ils croient, ni espérer ce qu’ils espèrent, ni aimer ce qu’ils aiment. Ainsi séparé d’esprit, ne crains pas d’être de corps parmi eux. Se peut-il une différence plus tranchée entre eux et toi que de croire de ton côté qu’il n’y a qu’un Dieu unique et véritable, quand ils croient, eux, que les démons sont des dieux ; que d’espérer, comme tu fais, la vie éternelle avec le Christ, quand ils espèrent, eux, les frivolités du siècle ; que d’aimer avec toile Créateur du monde, quand eux n’aiment que le monde ? Mais si on diffère d’eux par la foi, par l’espérance et par l’amour, on doit le prouver par sa vie, le montrer par ses actions. Si tu dois donner des étrennes, te livrer à des jeux de hasard et à l’ivresse comme un païen, as-tu une autre foi, une autre espérance, un amour autre que lui, et comment oses-tu lever le front pour chanter : « Sauvez-nous, Seigneur notre Dieu, et rassemblez-nous du milieu des gentils ? » Cette séparation consiste à mener une vie différente de celle des gentils, tout en demeurant extérieurement au milieu d’eux. Combien doit être tranchée cette différence ? Reconnaissez-le, si toutefois vous voulez la faire passer dans votre vie. N’est-il pas vrai que le Fils de Dieu, Jésus-Christ Notre-Seigneur, après s’être fait homme pour l’amour de nous, a payé lui-même notre rançon ? Il l’a payée de son sang, il l’a payée pour nous racheter et nous rassembler du milieu des gentils. Or, en te mêlant à eux, tu refuses de marcher à la suite de ton Rédempteur ; et tu t’y mêles par ta vie, par tes actions par les sentiments de ton cœur, par la communauté de foi, d’espérance et d’amour ; tu te montres, par là, ingrat envers ton Sauveur, sans égard pour ta rançon, pour le sang de l’Agneau sans tache.  De grâce donc, pour suivre ton Rédempteur, Celui qui t’a racheté de son sang, évite de te mêler aux gentils par la ressemblance des mœurs et de la conduite. Eux donnent des étrennes ; faites-vous, des aumônes. Ils se distraient par des chant lascifs ; sachez vous distraire par les paroles de l’Écriture. Ils courent au théâtre ; courez à l’Église. Ils s’enivrent ; jeûnez, et si vous ne pouvez jeûner aujourd’hui, mangez avec sobriété. Vous conduire ainsi, ce sera avoir chanté dignement : « Sauvez-nous, Seigneur notre Dieu, et rassemblez-nous du milieu des gentils ».

3. Mais beaucoup vont se préoccuper aujourd’hui d’un mot qu’ils ont entendu. Nous avons dit : Ne donnez point d’étrennes, donnez plutôt aux pauvres. Ce n’est pas assez de donner autant, donnez encore plus. Ne voulez-vous point donner davantage ? donnez au moins autant. – Mais, répliques-tu, lorsque je donne des étrennes, j’en reçois aussi. – Et quand tu donnes aux pauvres, ne reçois rien ? Assurément tu ne voudrais ni croire que croient les gentils ni espérer ce qu’ils espèrent. Si néanmoins tu répètes que tu ne reçois rien en donnant aux pauvres, tu fais partie des gentils ; c’est sans résultat que tu as chanté : « Sauvez-nous, Seigneur notre Dieu et rassemblez-nous du milieu des gentils ». N’oublie pas cette recommandation : « Ce qui donne aux pauvres ne sera jamais dans le besoin[2] ». Tu ne te souviens donc pas de ce que dira le Seigneur à ceux qui auront

  1. Psa. 105, 47.
  2. Pro. 28, 26.