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dis-tu, que nous nous avouons pécheurs ; mais Dieu voit que nous sommes justes. Tu ments donc par humilité, et il s’ensuit que si auparavant tu n’étais pas pécheur, ton mensonge te rend tel. La vérité n’est en toi que si en te disant pécheur tu reconnais l’être ; et la vérité en elle-même demande que tu dises ce que tu es. Comment, maintenant, voir l’humilité là où règne la fausseté ?

6. Laissons enfin les paroles de saint Jean. Tu dis que l’Église n’a ni tache, ni ride, ni rien de semblable, et qu’elle est sans péché. Or, viendra pour cette Église l’heure de la prière, toute l’Église va prier. Tu n’es pas de son corps, viens pourtant à la prière que lui a enseignée le Seigneur même, viens examiner, viens, dis « Notre Père qui êtes aux cieux ». Continue : « Que votre nom soit sanctifié ; que votre règne arrive ; que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel ; donnez-nous aujourd’hui notre pain de chaque jour ». Poursuis encore : « Remettez-nous nos dettes ». Dis-moi, hérétique, quelles sont tes dettes ? Aurais-tu emprunté quelque argent à ton Dieu ? – Non. – Je ne pousserai pas plus loin mes questions à ce sujet : le Seigneur va nous expliquer quelles sont ces dettes dont nous demandons la remise. Lisons ce qui suit : « Comme nous remettons à ceux qui nous doivent ». Expliquez, Seigneur. « Car, si vous remettez aux hommes leurs péchés » ; ainsi vos dettes sont vos péchés, « votre Père aussi vous remettra les vôtres ». O hérétique, que cette prière enfin te ramène, puisque tu t’es montré sourd aux vrais enseignements de la foi. « Remettez-nous nos dettes » : dis-tu cela, oui ou non ? Si tu ne le dis pas, c’est en vain que ton corps est dans l’Église, tu es réellement séparé d’elle. Cette prière est en effet la prière de l’Église ; c’est un enseignement émané de l’autorité de Dieu même ; car c’est lui qui a dit : « Priez de cette manière[1] » ; et il l’a dit à ses disciples, il l’a dit à ses Apôtres, il nous l’a dit à nous, faibles agneaux, tout en le disant aux béliers de son troupeau sacré. Ah ! considérez donc quel est celui qui parle ainsi et à qui il parle. C’est la Vérité même qui parle à ses enfants, le Pasteur des pasteurs aux béliers du troupeau. « Priez ainsi : Remettez-nous nos dettes, comme nous remettons à ceux qui nous doivent ». C’est le Roi qui s’adresse à ses soldats, le Seigneur à ses serviteurs, le Christ à ses Apôtres, la Vérité aux hommes, la Grandeur même aux petits. Je sais ce qui se passe en vous, dit-il ; je vous soulève, je vous pèse à ma balance, oui, je vous dis ce qui se passe en vous, car je le sais bien mieux que vous ne le savez. Dites donc : « Remettez-nous nos dettes, comme nous remettons à ceux qui nous doivent ».

7. À toi maintenant ; homme juste et saint, sans tache et sans ride, réponds-moi : Cette prière de l’Église est-elle pour les fidèles ou pour les catéchumènes ? Elle est sans aucun doute pour les chrétiens régénérés, c’est-à-dire baptisés ; mieux encore, pour les fils de Dieu, Si elle n’était pas pour les fils de Dieu, de quel front y oserait-on dire : « Notre Père, qui êtes aux cieux ? » Eh bien ! vous, justes et saints, où êtes-vous ? Êtes-vous, oui ou non, des membres de l’Église ? Vous en étiez, mais vous n’en êtes plus, Ah ! plaise à Dieu que dans votre état malheureux vous entendiez nos raisons et reveniez à la foi ! Considérez : si toute l’Église répète : « Remettez-nous nos dettes », il s’ensuit que ne prononcer pas ces paroles, c’est être réprouvé. Il est vrai, nous qui redisons cette demande, nous sommes réprouvés aussi, en ce sens que nous sommes pécheurs, jusqu’à ce que nous soyons exaucés ; mais en faisant ce que vous ne faites pas, c’est-à-dire, eu confessant nos péchés, nous nous en purifions, pourvu toutefois que nous pratiquions ces autres paroles : « Comme nous remettons à ceux qui nous doivent ». Que deviens-tu donc, ô hérétique, qu’on te nomme Pélagien ou Célestien ? L’Église entière s’écrie : « Remettez-nous nos dettes ». C’est une preuve qu’elle porte des taches et des rides. Mais cet aveu aplanit ces rides et lave tes taches. L’Église se soutient par la prière, elle se purifie par l’aveu qu’elle y fait, et tant qu’il aura vie sur la terre elle se soutiendra parce moyen. De plus, lorsque chaque fidèle aura quitté son corps, Dieu lui remettra tout ce qu’il avait à remettre. Les prières de chaque jour éteignent ces dettes ; voilà pourquoi le fidèle sort purifié et pourquoi l’Église entre comme un or affiné dans les trésors divins, où elle est véritablement et sans tache et sans ride. Or, si c’est là qu’elle n’a ni ride ni tache, que faut-il ici demander ? Le pardon. Le pardon efface la tache et aplanit la ride. Où Dieu étend-il cette ride pour l’aplanir ? Le dirai-je ?

  1. Mat. 6, 9-14