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d’autres termes, pour devenir humbles au lieu d’être enflés comme ils sont. Ils répliquent donc : Non, ces hommes saints et fidèles à Dieu ne peuvent se rendre coupables d’aucun péché absolument, ni en action, ni en parole, ni en pensée même. Ajoute-t-on : Mais quels sont ces hommes justes exempts de tout péché ? L’Église entière, répliquent-ils. Je pourrais m’étonner d’en rencontrer un, deux, trois, dix, autant qu’en cherchait Abraham, car de cinquante Abraham descendit jusqu’à dix[1]. Pour toi, hérétique, tu m’assures que l’Église entière est juste. Comment le prouveras-tu ? – Je le sais. – Donne tes preuves, je t’en conjure, car tu me feras grand plaisir si tu parviens à me démontrer que l’Église tout entière, que chacun des fidèles est exempt de tout péché. – Voici mes preuves. – D’où les tires-tu ? – Dés paroles de l’Apôtre. – Que dit l’Apôtre. – « Le Christ a aimé l’Église ». – Je t’entends, je reconnais ces mots comme étant bien de l’Apôtre. – « La purifiant par le baptême d’eau avec la parole de vie, pour la rendre à ses yeux une, Église glorieuse, n’ayant ni tache, ni ride, ni rien de semblable[2] ». Voilà de grands coups de tonnerre éclatant dans la nue. L’Apôtre est comme une nuée du ciel et le bruit de ses paroles nous fait trembler.

3. Avant toutefois d’examiner dans quel sens l’Apôtre a parlé ainsi, dites-nous, oui, dites-nous si vous êtes justes ou si vous ne l’êtes pas. – Nous sommes justes, répondent-ils. – Ainsi vous êtes sans péché ? Ni jour ni nuit, jamais vous ne faites, vous ne dites jamais, jamais vous ne pensez rien de mal ? – Ils n’osent pas l’affirmer. Et que répondent-ils ? Il est vrai, nous sommes pécheurs, mais nous parlons des saints et non pas de nous. – Pourtant êtes-vous chrétiens ? Je ne vous demande pas : Êtes-vous justes, mais : Êtes-vous chrétiens ? – Ils n’osent le nier ; nous sommes chrétiens, répondent-ils. – Vous êtes donc fidèles ? – Vous êtes donc baptisés ? – Sans aucun doute. – Alors tous vos péchés vous ont été remis ? – Oui. – Comment donc êtes-vous encore pécheurs ? – Pour vous réfuter cet argument me suffit. Vous êtes chrétiens, vous êtes baptisés, vous êtes fidèles, vous êtes membres de l’Église, et vous avez encore des taches et des rides ? Comment expliquer que l’Église est maintenant sans ride ni tache, puisque vous en êtes et la tache et la ride ? Voudriez-vous ne reconnaître d’autre Église que celle qui serait exempte de ride et de tache ? Alors séparez-vous de ses membres, séparez-vous de son corps avec vos taches et vos rides. – Mais pourquoi leur dire encore de se séparer de l’Église, quand ils l’ont déjà fait ? Dès qu’ils sont hérétiques, ils sont hors de son sein, ils sont séparés d’elle avec leur impureté. Ah ! revenez et écoutez, écoutez et croyez.

4. Peut-être direz-vous dans votre cœur gonflé et enflé : Pouvions-nous avancer que nous sommes justes ? Et l’humilité ne nous obligeait-elle pas à nous avouer pécheurs ? – Ainsi c’est l’humilité qui te fait mentir ? Tu es juste, tu es sans péché, et par humilité tu te dis pécheur. Comment t’accepter comme fidèle témoin pour autrui, quand tu es pour toi un faux témoin ? Tu es juste, tu es sans péché, et tu te dis pécheur ; n’est-ce pas être faux témoin contre toi ? Dieu n’agrée pas cette humilité menteuse. Examine ta vie, ouvre ta conscience. Comment ? tu es juste et tu ne peux que t’avouer pécheur ? Écoute Jean ; il va te répéter encore ce qu’il vient de dire avec tant de vérité : « Si nous prétendons être sans péché, nous nous séduisons nous-mêmes et la vérité n’est point en nous ». Pour toi, tu es sans péché et tu te prétends pécheur ; la vérité n’est pas en toi. Jean en effet n’a pas dit : « Si nous prétendons être sans péché », l’humilité n’est point en nous, mais : « Nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n’est point en nous ». Ainsi nous mentons, si nous prétendons être sans péché. Jean redoutait le mensonge ; tu ne le redoutes donc pas, toi, puisqu’étant juste, tu te dis pécheur ? Comment alors t’accepter à titre de témoin dans une cause étrangère, quand tu mens pour ta propre cause ? Ce sont les saints mêmes que tu représentes comme coupables, en déposant faussement contre toi. Que feras-tu pour autrui, si tu te diffames de la sorte ? Qui pourra échapper à tes calomnies, lorsque tu élèves contre toi-même des accusations mensongères ?

5. Nouvelles questions : Es-tu juste ou pécheur ? – Pécheur, réponds-tu. – Tu ments, puisque ta bouche ne dit pas de toi ce qu’en pense ton cœur. Conséquemment, en admettant que tu n’eusses pas été pécheur, dès que tu mens, tu commences à l’être. C’est par humilité,

  1. Gen. 18, 24-32
  2. Eph. 5, 25-27