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croit pas et de l’offrir légèrement à qui te croit.

11. Réprime donc de toutes tes forces et ta langue et cette habitude funeste. N’imite pas ces hommes qui répondent, quand on leur parle : Tu dis vrai ? je n’en crois rien ; tu n’as pas fait cela ? je ne le crois pas ; que Dieu soit juge, prête-moi serment. De plus, quand on exige ainsi le serment, il y a encore une énorme différence entre savoir ou ne savoir pas que celui qui le prête fera un serment faux. Si on l’ignore et que pour croire cet homme on lui dise : Jure ; je n’ose affirmer qu’il n’y a pas péché, mais c’est sûrement une occasion de péché. Si au contraire on est sûr que quelqu’un a fait ce qu’il nie, si on l’a vu le faire et qu’on le contraigne à jurer, on est homicide. Le parjure se donne lui-même la mort ; mais celui qui le contraint de jurer lui saisit la main et la pousse contre lui. Arrive-t-il qu’un larron consommé est invité par un homme qui ignore s’il est coupable, de jurer qu’il n’a pas dérobé, qu’il n’a pas fait le crime dont il s’agit ? Un chrétien ne peut jurer, répond-il ; il ne lui est pas permis de prêter serment quand on le lui demande ; or, je suis chrétien, je ne puis donc jurer. Use alors d’adresse avec lui, change de propos, cesse de parler de l’affaire sur laquelle tu le questionnais ; parle-lui de différentes bagatelles, et tu le surprendras jurant des milliers de fois, lui qui fa refusé de jurer une seule fois. Ah ! mes frères, cette coutume affreuse de jurer sans motif, sans que personne l’exige, sans que nul ne révoque en doute tes paroles, de jurer chaque jour et si souvent chaque jour, extirpez-la du milieu de vous, qu’elle ne se retrouve plus jamais ni sur vos langues ni sur vos lèvres.

12. Mais c’est une habitude, dit-on ; c’est une habitude qu’on suivra, lors même que je m’y soustrairais. N’est-ce pas pour cela que l’Apôtre disait : « Avant tout ? – Avant tout », qu’est-ce à dire ? Prends ici tes précautions par-dessus toutes choses ; applique-toi à ce devoir plus qu’aux autres. Une habitude invétérée demande plus d’efforts qu’une habitude légère. S’il s’agissait d’ouvrages manuels, il serait bien facile de commander à ta main de n’agir pas ; s’il fallait marcher, tu pourrais aisément, malgré les réclamations de la paresse, te déterminer à te lever et à te mettre en route. Mais la langue a le mouvement si facile ! dans un endroit toujours humecté, elle y glisse si aisément ! Aussi plus ses mouvements sont aisés et rapides, plus tu dois te montrer ferme. Pour la dompter, il te faut – veiller ; pour veiller, il te faut craindre ; et pour craindre, songer que tu es chrétien. Le parjure est un si grand mal, que ceux mêmes qui adorent les pierres redoutent de prêter devant elles un faux serment. Et toi, tu ne crains pas ce Dieu qui partout est présent, ce Dieu vivant qui sait tout, qui subsiste éternellement et qui se venge de ses contempteurs ? L’idolâtre en fermant son temple y laisse la pierre qu’il adore et rentre chez lui ; il a donc enfermé son Dieu, et néanmoins quand on lui dit : Jure par Jupiter, il redoute son regard comme s’il était là.

13. Mais, je le déclare devant votre charité, en appeler à une pierre même pour un faux serment, c’est être parjure. Pourquoi cette observation ? Parce que beaucoup sont ici dans l’illusion en croyant que jurer par ce qui n’est rien, c’est n’être pas coupable de parjure. N’es-tu point parjure en jurant faux par ce que tu crois saint ? – Oui, mais je ne crois pas à la sainteté de cette pierre. – Et celui à qui tu jures y croit. Or, quand tu jures, ce n’est ni pour toi, ni pour la pierre, mais pour ton prochain. C’est donc à un homme que tu fais serment devant cette pierre ; mais Dieu n’est-il pas là ? Si la pierre ne t’entend pas parler, Dieu te punit pour chercher à tromper.

14. Avant tout donc, mes frères, je vous conjure de faire en sorte que ce ne soit pas inutilement que Dieu m’a pressé de vous entretenir de ce sujet. Je vous l’avoue de nouveau devant lui : j’ai souvent évité d’aborder cette question ; je craignais de rendre plus coupables ceux qui ne se rendraient ni à mes avertissements ni aux ordres de Dieu ; j’ai craint davantage aujourd’hui de résister à l’obligation de parler. Serais-je d’ailleurs trop peu récompensé de mes sueurs présentes, si tous ceux qui m’ont applaudi criaient en même temps contre eux-mêmes et s’engageaient à ne plus se nuire en jurant faux ; si tant d’hommes qui m’ont prêté l’attention la plus parfaite, se montraient désormais attentifs contre eux-mêmes ; s’ils se prêchaient, une fois rentrés dans leurs foyers et lorsque par mégarde ils se seront laissés aller à une de ces paroles qui leur sont trop ordinaires ; si l’on se répétait