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SERMON CLXXX. DU SERMENT[1].

ANALYSE. — Deux questions sur ce grave sujet que le saint Docteur n’a pas osé traiter encore. I. Pourquoi le serment est-il interdit par saint Jacques et par Notre-Seigneur ? Premièrement c’est que le serment expose l’homme au parjure ; secondement c’est que le parjure est un crime énorme qui donne la mort à l’âme. Aussi, II. Que faut-il faire pour se corriger de l’habitude de jurer ? Premièrement il faut s’y appliquer de toutes ses forces, par-dessus tout, dit saint Jacques, et on peut réussir, saint Augustin en est une preuve. On doit secondement s’abstenir de demander le serment, à moins, bien entendu, d’une nécessité spéciale et extraordinaire. Il faut troisièmement ne jurer pas même par les faux dieux, ce qui serait un scandale. Quatrièmement enfin, il suffit pour se délivrer de cette coutume funeste, d’y résister sérieusement pendant trois jours.

1. La première leçon de l’apôtre saint Jacques qui nous a été lue aujourd’hui, demande à être examinée ; c’est pour ainsi dire une obligation qui nous est imposée. Ce qui principalement vous y a frappés, c’est qu’avant tout vous ne devez pas jurer ; mais c’est une question difficile à traiter. S’il est réellement défendu de jurer, qui n’est coupable ? Que le parjure soit un péché et un péché énorme, nul n’en doute. Mais dans le passage que nous étudions l’Apôtre ne dit pas : « Avant tout », mes frères, gardez-vous de vous parjurer, mais « gardez-vous de jurer ». Déjà Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même avait fait dans l’Évangile une recommandation semblable. « Vous savez, y dit-il, qu’il a été dit aux anciens : Tu ne te parjureras pas ; pour moi je vous le dis : Ne jurez ni par le ciel, car il est le trône de Dieu ; ni par la terre, car elle est l’escabeau de ses pieds ; tu ne jureras pas non plus par ta tête, parce que tu ne peux rendre un seul de tes cheveux blanc ou noir. Que votre langage soit : Oui, oui ; non, non ; car ce qui est de plus vient du mal[2] ». Le texte précité de l’Apôtre est si conforme à cet avertissement du Seigneur, que c’est évidemment le même ordre donné par Dieu. Aussi l’auteur de la recommandation évangélique n’est-il pas différent de celui qui a dit par l’organe de l’Apôtre : « Avant tout, mes frères, ne jurez ni par le ciel ni par la terre, et ne faites aucun autre serment que ce soit. Que votre langage soit : Oui, oui ; non, non ». Il n’y a ici de différence que ces mots : « Avant tout », ajoutés par l’Apôtre. C’est ce qui vous a si vivement frappés, c’est aussi ce qui accroît la difficulté de la question.

2. Il est sûr en effet que les saints ont juré et que Dieu même, en qui ne se trouve absolument aucun péché, a juré le premier : « Le Seigneur l’a juré et il ne s’en repentira point, vous êtes prêtre pour l’éternité selon l’ordre de Melchisédech[3] ». Ainsi a-t-il promis avec serment, à son Fils, l’éternité du sacerdoce, Nous lisons encore : « Je jure par moi-même, dit le Seigneur[4] » ; et cet autre serment : « Je vis, dit le Seigneur[5] ». De même donc que l’homme jure par Dieu, ainsi Dieu jure par lui-même. Ne s’ensuit-il pas qu’il n’y a point de péché à jurer ? Comment soutenir que c’est un péché, puisque Dieu a juré ? Ne serait-ce pas un affreux blasphème ? Dieu est sans péché, et il jure ; il n’y a donc pas de crime à jurer, mais plutôt à se parjurer ? Peut-être pourrait-on répondre qu’en

  1. Jac. 5, 12
  2. Mat. 5, 33-37
  3. Psa. 109, 4
  4. Gen. 22, 16
  5. Nom. 14, 28