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sur vos cœurs, si la parole de Dieu y a trouvé place, si elle y est à l’aise, suivez ses inspirations, mes frères ; ne croyez pas perdre ; au contraire, vous gagnerez beaucoup à faire ce que je vous dis. – Mais j’ai perdu vingt, j’ai perdu deux cents, cinq cents sous. – Qu’as-tu perdu ? Cet argent est sorti de chez toi ; mais c’est un autre et non pas toi qui l’a perdu d’abord. La terre n’est-elle pas comme une grande maison, comme une hôtellerie où vous êtes entrés tous deux, parce que vous êtes tous deux voyageurs en cette vie ? L’un de vous y a donc déposé sa bourse, il l’a oubliée ; c’est-à-dire qu’elle est tombée pendant qu’il partait, et toi tu l’as trouvée ensuite. Or, qui es-tu ? Un chrétien. Qui es-tu ? Un homme qui connaît la loi, oui, un chrétien qui l’as entendue. Qui es-tu encore ? Un cœur généreux qui a beaucoup applaudi en entendant cette loi. Eh bien ! si tes applaudissements étaient sincères, rends donc ce que tu as trouvé ; autrement ces applaudissements seraient contre toi comme des témoins à charge. Soyez fidèles à rendre ce que vous avez trouvé ; vous aurez le droit alors de crier contre l’iniquité des ravisseurs. N’es-tu pas ravisseur, lorsque tu ne rends pas ce que tu as trouvé ? C’est ravir autant que tu en es capable ; et si tu ne ravis pas davantage, c’est que tu n’en as pas le pouvoir. Refuser de rendre le bien d’autrui, c’est prouver qu’on le dérobera dans l’occasion. La crainte seule t’empêche alors de le prendre : ce n’est pas faire le bien, c’est redouter le mal.

10. Quel mérite y a-t-il à redouter le mal ? Le mérite, c’est de ne pas faire le mal ; le mérite, c’est d’aimer le bien. Le larron aussi ne craint-il pas le mal ? S’il ne le fait pas par impuissance, il n’en est pas moins larron ; car c’est le cœur et non la main que Dieu a en vue. Un loup court à un troupeau de brebis, il cherche à y pénétrer, à égorger, à dévorer ; mais les bergers veillent, les chiens aboient et le loup rendu impuissant n’enlève ni n’égorge rien : ne s’en retourne-t-il pas aussi loup qu’il est venu ? Pour n’emporter pas de brebis, est-il devenu brebis, de loup qu’il était ? Il venait avec fureur, il retourne avec frayeur n’est-ce pas toujours la fureur et la frayeur d’un loup ? Toi donc qui veux juger, examine-toi : si tu reconnais que tu ne fais pas le mal quand tu pourrais le faire sans encourir la vengeance des hommes, vraiment tu crains Dieu. Personne n’est là, personne, si ce n’est toi, celui que tu maltraites et Dieu qui vous voit tous deux. Vois-le toi-même et crains ; ce n’est pas assez : vois-le et non-seulement crains le mal, mais encore aime le bien. Il ne suffit pas en effet, pour être parfait, de ne pas faire le mal dans la crainte de l’enfer ; je l’ose dire, s’il n’y a en toi que cette crainte, tu as bien la foi puisque tu crois au jugement à venir da Dieu, je suis heureux de voir en toi cette croyance, mais je tremble encore pour ton penchant au mal. Que veux-je dire ? Qu’éviter le mal par crainte de l’enfer, ce n’est pas faire le bien par amour de la justice.

11. Il est donc bien différent de craindre la peine ou d’aimer la justice. Cet amour doit être pur dans ton cœur, c’est-à-dire qu’il doit te porter à désirer de voir, non pas le ciel et la terre, non pas les plaines transparentes de la mer, non pas les vains spectacles ni l’éclat et la splendeur des pierreries, mais ton Dieu lui-même. Désire donc de le voir, désire de l’aimer, puisqu’il est écrit : « Mes bien-aimés nous sommes les enfants de Dieu, et ce qui nous serons ne paraît pas encore ; mais nous savons que lorsqu’il apparaîtra, nous lui serons semblables, parce que nous le verrons tel qu’il est[1] ». Voilà, voilà pour quelle contemplation je t’engage à faire le bien et de plus à éviter le mal. Supposons que tu désires jouir de la vue ton Dieu et que cet amour ne cesse de soupirer en toi durant ce pèlerinage. Le Seigneur toi Dieu veut t’éprouver, il te dit : Eh bien ! fais ce qu’il te plaît, contente tes passions, donne un libre cours à la débauche, multiplie tes actes de luxure et crois permis tout ce qui t’est agréable. Pour rien de tout cela je ne te punirai ne te jetterai dans les enfers, je te refuse seulement ma présence. Si tu trembles à ces mots, c’est que tu aimes Dieu ; oui, si à ces paroles : Ton Dieu ne se laissera point voir à toi, ton cœur est ému de crainte, si tu regardes comme un grand malheur pour toi la privation de la vue de ton Dieu, c’est que ton amour est pur. Ah ! si ma parole rencontre en vous quelque étincelle de ce pur amour de Dieu, entretenez-la ; et pour l’accroître toutes vos forces, recourez à la prière, l’humilité, à la douleur de la pénitence, à l’amour de la justice, aux bonnes œuvres, aux saints gémissements, à l’édification de la vie,

  1. 1Jn. 3, 2