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nécessaire. Pourquoi te charger ? Pourquoi prendre, durant ce court voyage, non ce qui peut t’aider à parvenir au terme, mais ce qui ne saurait que t’accabler outre mesure ? Tes désirs ne sont-ils pas étranges au-delà de toute expression ? Pour voyager tu te charges, tu te charges encore ; tu es accablé sous le poids de l’argent, et plus encore sous la tyrannie de l’avarice. Mais l’avarice est l’impureté dans le cœur. Ainsi donc, de ce monde que tu affectionnes, tu n’emportes rien, rien que le vice auquel tu t’attaches. Et, en continuant à aimer ce monde ; tu seras tout immonde aux yeux de son Auteur. Si au contraire tu ne gardes avec modération que les ressources nécessaires au voyage, tu seras dans les bornes prescrites par ces mots de l’Apôtre : « N’aimez point les richesses et contentez-vous de ce qui suffit actuellement[1] ». Remarque ce qu’il place en première ligne. « N’aimez pas », dit-il. Touche-les, mais sans y attacher ton cœur. En attachant ton cœur aux richesses par les liens de l’amour, tu te plonges dans une infinité de chagrins ; est-ce d’ailleurs faire attention à ces paroles : « Pour toi, homme de Dieu, fuis ces malheurs ? » Il n’est pas dit : Laisse, abandonne ; il est dit : « Fuis », comme on fuit un ennemi. Tu cherchais à fuir avec ton or ; fuis l’or, que ton cœur s’en échappe et l’or devient ton esclave. Point d’avarice, non ; mais de la piété. Ah ! il y a moyen d’employer ton or, si tu en es le maître et non l’esclave. Maître de l’or, tu t’en sers pour le bien ; esclave, il t’applique au mal. Maître de l’or, tu donnes des vêtements qui font louer le Seigneur ; esclave, tu dépouilles et tu fais blasphémer Dieu. Or, c’est la passion qui t’en rend l’esclave, et la charité qui t’en affranchit. Fuis donc, sans quoi tu seras asservi. « Pour toi, homme de Dieu, fuis ». Point de milieu, on est ici fugitif ou captif.

4. Voilà bien ce que tu dois fuir ; mais tu as aussi quelque chose à rechercher, car on ne fuit pas dans le vide, on ne laisse pas pour ne rien saisir. « Recherche donc la justice, la foi, la piété, la charité » ; sache t’enrichir par là, ce sont des biens intérieurs dont n’approche pas le larron, à moins que la volonté mauvaise ne lui ouvre la porte. Garde avec soin ce coffre-fort, qui n’est autre que ta conscience ; richesses précieuses que ne pourront te ravir ni larron, ni ennemi, si puissant qu’il soit, ni les barbares, ni les envahisseurs, non, pas même le naufrage ; car en y perdant tout, tu sauverais tout. Quoique dépouillé de tout à l’extérieur, n’avait-il rien l’antique patriarche qui disait : « Le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté ; comme il a plu au Seigneur, ainsi il a été fait : que le nom du Seigneur soit béni[2] ? » Quelle merveilleuse opulence ! quelles richesses immenses ! Il était privé de tout, mais rempli de Dieu ; privé de tout bien qui passe, mais rempli de la volonté de son Seigneur. Eh ! pourquoi tant de fatigues et de voyages à la recherche de l’or ? Aimez cette autre sorte de richesses, et à l’instant même vous en êtes comblés : ouvrez votre cœur, et la source s’y jette. Or c’est avec la clef de la foi que s’ouvre le cœur, et la foi le purifie en l’ouvrant. Ne le crois pas trop étroit pour contenir le divin trésor. Ce trésor n’est autre que ton Dieu et il élargit le cœur en y entrant.

5. Ainsi donc « n’aimez pas l’argent et contentez-vous de ce qui actuellement suffit ». Pourquoi « actuellement ? » Parce que « nous n’avons rien apporté dans ce monde et nous ne saurions en emporter rien ». Voilà pourquoi il faut se contenter, « de ce qui suffit actuellement », sans se préoccuper de l’avenir. Mais comment est-on séduit par les calculs de l’avarice ? – Eh ! dit-on, si je vis longtemps ? – Celui qui donne la vie, donne aussi de quoi la soutenir. Après tout, je veux bien qu’on ait des revenus ; pourquoi, de plus, chercher des trésors ? Si le négoce, si le travail, si le commerce donnent des revenus, pourquoi vouloir encore thésauriser ? Ne crains-tu pas de laisser ton cœur où tu placeras ton trésor, d’entendre sans profit et de répondre menteusement quand on t’invite à l’élever ? Quoi ! lorsque tu réponds – à cette parole sacrée, lorsque ta voix y applaudit, ne sens-tu pas en toi ton cœur même t’accuser ? Si déprimé et si accablé que soit ce cœur, ne te dit-il pas secrètement : Tu m’ensevelis sous terre, pourquoi mentir ? Ne te dit-il pas encore : Ne suis-je pas où est ton trésor ? Oui, tu mens. Mentirait-il le Maître qui a dit : « Où sera ton trésor, là aussi sera ton cœur[3] ? » Tu oses dire qu’il ne sera pas là, quand la vérité affirme qu’il y sera ? Il ne sera pas là, reprends-tu,

  1. Heb. 13, 5
  2. Job. 1, 21
  3. Mat. 6, 12