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« J’ai dit, s’écria-t-il alors, comment Dieu les voit-il ? le Très-Haut en a-t-il connaissance ? » Voyez quel danger il a couru en demandant à Dieu, comme une grande récompense, la terrestre félicité. Apprenez donc, mes très-chers, à la mépriser si vous l’avez, et à ne pas dire en vos cœurs Parce que je sers Dieu je suis heureux. Tu verras, même à ceux qui ne le servent pas, ce que tu prends pour le bonheur, et tes pas chancelleront. Si tu le possèdes en servant Dieu, tu remarqueras un homme qui possède quelque chose de semblable sans servir Dieu, et celui-ci jouissant de cette même félicité, tu t’imagineras que la religion est inutile. Si d’un autre côté tu ne le possèdes pas, tu seras plus porté encore à accuser Dieu qui le donne à ses blasphémateurs et le refuse à ses adorateurs. Apprenez donc à mépriser ce qui flatte les sens, si vous voulez servir Dieu avec un cœur fidèle. Tu en jouis ? N’en conclus pas que tu es bon, emploie-le à le devenir. Tu en es privé ? N’en infère pas que tu es méchant, mais évite le mal que ne fait jamais celui qui est bon.
5. On le voit dans notre prophète. Rentrant en lui-même et se reprochant d’avoir commencé à mal penser de Dieu, ce pécheur haletant, qui a vu la paix des impies, s’écrie avec repentir : « Qu’y a-t-il pour moi au ciel et qu’ai-je attendu de vous sur la terre [1] ? » Ainsi il se corrige, ainsi il redresse son cœur et connaît ce que mérite le service de Dieu, ce service qu’il estimait si peu quand pour lui il cherchait la terrestre félicité. Il connaît donc ce que les serviteurs de Dieu doivent attendre en haut, en haut où on nous commande de porter notre cœur et où nous répondons que nous le tenons élevé. Plaise à Dieu que nous ne soyons pas menteurs, au moins dans l’heure, au moins dans le moment, au moins dans l’instant où nous faisons cette réponse ! Rentrant donc en lui-même et redressant son cœur, ce prophète se reproche d’avoir cherché sur terre, comme récompense du service de Dieu, la félicité de la terre. Mais en se reprenant il dit « Qu’y a-t-il pour moi dans le ciel ? » Qu’y a-t-il pour moi ? L’éternelle vie, l’incorruptibilité, l’empire avec le Christ, la société des Anges ; l’exemption de tout trouble, de toute ignorance, de tout danger, de toute tentation ; une sécurité vraie, certaine, immuable. Voilà ce qu’il y a pour moi dans le ciel.« Et sur la terre qu’ai-je attendu de vous ? » Qu’ai-je désiré de vous sur la terre ? qu’ai-je désiré ? Des richesses qui s’écoulent, qui s’écroulent, qui s’envolent. Qu’ai-je désiré ? De l’or, ou un peu de terre pâle ; de l’argent, ou un peu de terre livide ; de l’honneur ou un peu de fumée qui se dissipe. Voilà ce que j’attendais de vous sur la terre. Et parce que je l’ai vu aux pécheurs, mes pieds ont chancelé et mes pas ont failli s’égarer. Oh ! que Dieu est bon pour ceux qui ont le cœur droit. Que cherches-tu donc, Prophète fidèle ? De l’or ? de l’argent ? des richesses terrestres ? Ainsi la foi d’une mère chrétienne mérite ce que possède même une courtisane ! Ainsi la foi d’un homme pieux mérite ce que possèdent un comédien, un cocher, un gladiateur, un larron ? Loin de nous, mes frères, loin de nous la pensée que tel soit le mérite de notre foi ! Que Dieu l’éloigne de nos cœurs ! Voulez-vous connaître ce que vaut cette foi ? Pour elle le Christ est mort. Mais qu’est-elle ? dis-tu, combien vaut-elle ? Écoute cet homme qui crie : « Qu’y a-t-il pour moi dans le ciel ? »
Il ne dit pas ce qu’il y aura là pour lui, mais il ajoute : « Et qu’ai-je attendu de vous sur la terre ? » Il parle du ciel avec éloge, de la terre avec mépris, et dit néanmoins de l’un et de l’autre : Qu’y a-t-il ? Qu’y a-t-il au ciel ? Ce que l’œil n’a point vu. Qu’y a-t-il sur la terre ? Ce que ne convoite point l’œil fidèle. Qu’y a-t-il là ? Ce qu’a trouvé Lazare couvert d’ulcères. Qu’y a-t-il ici ? Ce qu’a possédé le riche enflé d’orgueil. Là ? ce qui ne peut se perdre. Ici ? Ce qui ne peut se conserver. Là ? Point de peine. Ici ? Des craintes incessantes. « Qu’y a-t-il pour moi dans le ciel ? » Quoi ? Celui qui a fait le ciel ; Dieu même est le prix de ta foi ; c’est lui que tu posséderas ; c’est lui qui se dispose à devenir là récompensé de ses serviteurs. Considérez, mes très-chers, tout l’univers, le ciel, la terre, la mer, ce qui est au ciel, ce qui est sur la terre, ce qui est dans la mer, comme tout est beau, comme tout est admirable, comme tout est disposé avec ordre et avec magnificence. Ces beautés vous touchent-elles ? Oui elles vous touchent. Pourquoi ? Parce que ce sont des beautés. Que penser donc de Celui qui les a faites : Je le crois, vous seriez frappés de stupeur, si vous voyiez la beauté des Anges. Quelle n’est donc pas la beauté du Créateur des Anges ? Il est lui-même la récompense de votre foi. O avares ! de quoi vous contenterez-vous si Dieu ne vous suffit point ?
6. Ainsi travaillons à bien vivre, et pour en

  1. Ps. 72, 1-25