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si néanmoins je ne cesse de parler, je délivrerai mon âme ; mais je ne veux point me sauver sans vous.
3. Mes fières, gardez-vous de mépriser les péchés dont peut-être vous avez déjà contracté l’habitude. On fait peu de cas d’un péché d’habitude, on le regarde même comme nul : on y est endurci, on n’en ressent aucune douleur. On n’en ressent point non plus d’un membre entièrement pourri ; toutefois loin de le considérer comme bien portant, on le regarde comme un membre mort. Soyez attentifs à ce que dit l’Écriture et voyez-y votre règle de conduite. Qui ne dédaigne le péché d’ivrognerie ? Ce vice est, commun et on le dédaigne. Le cœur allumé au vin n’est plus sensible à la douleur, parce qu’il n’a plus de vie. Le membre qui frémit quand on le blesse est plein de santé, ou présente quelque espoir de recouvrer la santé. S’il ne sent rien quand on le presse, quand on le pique, quand on le blesse, c’est qu’il n’a plus de vie et doit être retranché du corps. Nous épargnons quelquefois et nous nous contentons de parler ; nous différons d’excommunier et d’exclure de l’Église, parce que nous craignons que ce châtiment ne rende pire le coupable. Dans cette situation son âme est morte : cependant notre Médecin est tout-puissant ; il ne faut point désespérer au salut de ces malades, il faut le supplier de toutes nos forces de vouloir bien leur ouvrir l’oreille du cœur, qui certainement est fermée. Néanmoins ce redoutable Seigneur épargnera-t-il toujours ? gardera-t-il toujours le silence ? Vous venez de l’entendre, mes frères ; lorsque dans ce psaume il énumérait les iniquités du pécheur, il disait : « Voilà ce que tu as fait et je me suis tu. » Mais n’y est-il pas dit aussi : « Il viendra et ne gardera point le silence ? » Il sera là et parlera. Car sans compter ce silence dont j’ai fait mention tout à l’heure et que Jésus-christ notre Seigneur et notre Dieu a gardé devant son juge, pour accomplir cette prophétie comme les autres, actuellement il ne parle point par lui-même. Il est monté au ciel, il est assis à la droite de son Père, d’où il viendra juger les vivants et les morts ; mais tant qu’il est là et jusqu’à son avènement il se tait. Nous l’entendons dans les livres, il ne nous parle pas de vive voix. Vous entendez maintenant son langage dans les saintes Écritures ; vous l’entendez aussi lorsque vous vous les rappelez ou lorsque peut-être vous vous en entretenez entre vous.
4. Quand on veut, mes très-chers, être écouté de Dieu, il faut d’abord écouter Dieu. Mais l’écoutes-tu quand tu commets un adultère que tu crois caché parce qu’aucun homme n’en est témoin ? Dieu te voit, mais il se tait. Quand tu veux dérober, tu observes d’abord les regards de celui que tu veux dépouiller, et tu accomplis ton dessein lorsqu’il n’en a point connaissance. T’abstiens-tu dans la crainte d’être surpris ? Tu as fait le crime intérieurement, tu l’as commis dans ton cœur : tu n’as rien emporté et l’on te tient pour voleur. Toi-même d’ailleurs, quand l’occasion se présente, tu exécutes ton injuste projet et tu t’applaudis du silence de Dieu. Entends donc le psaume : c’est à toi qu’il s’adresse, à toi qui es ici et qui peut-être as fait cette nuit quelque acte criminel. « Voilà ce que tu as fait, dit-il, et je me suis tu. M’as-tu injustement soupçonné d’être semblable à toi ? » O vous qui ne dites ni ne pensez ce que je vais exprimer, je vous estime heureux. Ces hommes qui font le mal ou qui se repentent d’avoir fait le bien et qui perdent par une pénitence vicieuse le fruit de leurs bonnes œuvres, ces hommes ne disent-ils pas chaque jour et ne murmurent-ils pas avec aigreur : Réellement si ces actes déplaisaient à Dieu, les laisserait-il faire et les auteurs en seraient-ils heureux sur la terre ? Voici des ravisseurs, voici des hommes qui oppriment les faibles, qui exproprient leurs voisins, qui dépassent violemment les limites et qui calomnient : cependant ils sont puissants, riches et heureux dans ce monde. Dieu les épargnerait-il si réellement il voyait tout cela, s’il en prenait souci ? On va même jusqu’à dire, ce qui est plus horrible : Il n’y a de faveur que pour les méchants. Qu’un homme fasse le bien et soit ensuite éprouvé, il s’écrie aussitôt : Il n’y a point d’avantage à bien faire ; qui fait bien n’en profite pas. Mais n’est-ce pas assez pour toi de chercher à mal faire ? Te faut-il maudire encore ceux qui font le bien ? « Voilà ce que tu as fait, dit le Seigneur, et je me suis tu. M’as-tu injustement soupçonné d’être semblable à toi ? » D’être semblable à toi, qu’est-ce à dire ? C’est-à-dire : as-tu pensé que le mal me plaît comme à toi ? Tu t’es contenté de le dire en ton cœur ; mais je t’ai entendu. Ce qu’il y a de plus malheureux encore, c’est qu’on tient ostensiblement ce langage sans craindre qu’il soit entendu.
5. « Tu m’as donc injustement soupçonné d’être semblable à toi. Je t’accuserai » de la