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SERMON XVI. LA VIE PROMISE[1].

ANALYSE. – La vie promise dans le Psaume 33, n’est pas la vie du temps. Car 1° elle est trop courte et au lieu qu’il soit besoin d’exciter l’homme à la prolonger, l’homme doit s’appliquer plutôt à la rendre bonne. 2° Ce qui prouve encore que ce n’est pas de cette vie qu’il est ici question, c’est qu’au lieu de la prolonger, les préceptes imposés sont de nature à l’abréger en certaines circonstances et l’on en peut dire autant des jours de bonheur également montrés ici en perspective. – Il est donc question d’une autre vie et d’une félicité meilleure. Ne négligeons rien pour l’obtenir.


1. L’Esprit de Dieu appelle le genre humain en nous prescrivant ce que nous devons faire, et en nous promettant ce que nous devons espérer. Mais d’abord il nous enflamme d’ardeur pour la récompense, afin de nous porter à. obéir plutôt par amour du bien que par crainte du mal. « Quel est, dit-il, l’homme qui veut la vie et soupire après les jours de bonheur ? » Il demande quel est cet homme, comme s’il était possible de découvrir qui ne l’est pas. Quel est effectivement celui qui ne veut pas la vie et qui ne soupire point après les jours de bonheur ? Écoute donc ce qui suit, ô toi qui veux et recherches cette vie et ces jours ; ô homme, ou plutôt, tous les hommes, écoutez ce qui suit : « Préserve ta langue du mal, et tes lèvres de toute parole de tromperie. Évite le mal et fais le bien ; cherche la paix et t’y attache[2]. » Les premiers mots contiennent le précepte ; les derniers la récompense. Ce qui nous est prescrit, c’est de préserver notre langue du mal, et nos lèvres des paroles de tromperie, c’est d’éviter le mal, de faire le bien et de chercher la paix ce qui nous est promis, c’est tic nous attacher à cette paix. Quelle est-elle, sinon la paix que ne possède point le monde ? Quelle est-elle, sinon la paix que, ne possède point cette vie, cette vie qui n’en est pas une en comparaison de l’autre ? Car ce n’est pas de celle-ci qu’on dirait : « Quel est l’homme qui veut la vie ? » et on n’engagerait point à la conserver ou à la prolonger par l’observation de certains préceptes, comme s’il était un seul homme pour ne le pas désirer. Puisqu’elle ne peut durer toujours, on souhaite au moins qu’elle dure longtemps ; et si on la veut bonne autant qu’on la veut longue, elle peut être un moyen d’arriver à l’autre. Et qu’est-ce que la longueur de la vie présente, puisqu’un jour il n’en restera plus rien ? Non, il ne restera plus lien de ce qui était long ; car cette longueur n’était pas immuable ; en s’étendant elle n’augmentait pas ; elle ne croissait pas en se développant, car elle ne marchait qu’en s’éloignant.
2. Toi donc qui aimes une longue vie, aime plutôt une bonne vie. Si tu veux mal agir, cette vie ne sera pas un vrai bien, mais un long mal. Mais reconnais combien tu es insensé et dépravé. Tu avoues préférer la vie à une campagne, et tu veux plutôt une bonne campagne qu’une bonne vie ? Pour suivre ta cupidité, tes coupables convoitises et acquérir une bonne campagne, tu ne crains pas en effet de corrompre ta vie par.lafraude. Si toutefois l’on te disait, si l’on te demandait : Préfères-tu perdre cette bonne campagne plutôt que cette vie mauvaise ? Tu répondrais que dans l’impossibilité de conserver l’une et l’autre, tu es plutôt disposé à perdre ta campagne. Tu préfères à tous les biens cette vie, même mauvaise : pourquoi cet amour ne t’engage-t-il point aussi à la rendre bonne ? Tu veux que, même mauvaise, elle soit longue mais rends-la bonne et ne crains point qu’elle soit trop courte. Car si tu prends soin de la bien passer, tu ne craindras pas de la voir bientôt finir : elle s’unira en effet à la vie éternelle, vie éternelle où le bonheur est sans crainte et la durée sans fin. C’est d’elle qu’il est parlé dans cette question : « Quel est l’homme qui veut la vie et soupire après les jours de bonheur ? ». Dans la vie présente au contraire l’Apôtre nous ordonne de racheter le temps, parce que les jours sont mauvais. Et qu’est-ce que racheter le temps, sinon en consacrer les moments à rechercher et mériter les biens éternels au détriment même des biens temporels ? De là cet ordre du Seigneur : « Si quelqu’un veut t’appeler en justice et t’enlever ta tunique, abandonne-

  1. Ps. 33, 13
  2. Ps. 33, 13-15