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ennemi méchant et ton bon Seigneur, que feras-tu ? Prieras-tu contre l’un, ou obéiras-tu à l’autre ?
8. Ton Seigneur te commande de prier pour cet ennemi pervers : que feras-tu ? L’ordre vient du Seigneur, l’ordre est sévère, mais grande est la récompense promise. Quel est l’ordre sévère : « Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous persécutent. » Voilà qui est difficile. Mais « à cause des paroles sorties de votre bouche, j’ai marché par de difficiles voies [1]. » Et comment aurais-tu la force de marcher par de difficiles voies, si sa miséricorde n’était devant tes yeux ? Voilà l’ordre sévère, difficile ; considère main, tenant la récompense promise.« Priez pour ceux qui vous persécutent, afin que vous soyez les enfants de votre Père qui est dans les cieux[2]. » S’il te disait : Prie pour ton ennemi, afin que tu sois l’enfant de ton père, afin que ce père charnel ne te déshérite pas, car il veut te laisser ce qu’il ne peut emporter ; tu craindrais et tu obéirais. Pour cet ordre sévère on te permet d’être le fils du Très-haut. Songe à ton Père, pense à son héritage. Dis donc, commence à prier pour ce grand ennemi, qui t’a fait tant de mal, qui t’a causé tant de chagrins ; commence à prier pour lui et surveille les résistances de ton cœur. Quand tu le veux, quand il te plaît de te soumettre, quand tu en éprouves intérieurement de la joie, quand tu obéis à ton Sauveur et que tu pries pour ton ennemi, c’est l’or. Au contraire, quand après avoir commencé à prier, tu commences à sentir les résistances de la faiblesse charnelle, ce sont les scories dont Dieu veut te purifier dans le creuset.
9. Exerce-toi donc au milieu des méchants, ô homme de bien, si néanmoins tu l’es, non de ton propre fonds, puisque tu as fait le mal, mais par la grâce de Celui qui ne le fait jamais ; exerce-toi au milieu des méchants. Ne me dis pas S’il était nécessaire qu’il y eût des méchants pour nous exercer, que ne sont-ils au moins en petit nombre et pourquoi les bons ne sont-ils pas les plus nombreux ? Ne vois-tu pas que s’ils étaient en petit nombre, ils n’attaqueraient pas les bons ? Considère donc, homme clairvoyant, que si les bons étaient en grand nombre et les méchants en petit nombre, ce petit nombre de méchants n’oserait attaquer le grand nombre des bons. S’ils n’osaient, ils ne les exerceraient pas. Mais aujourd’hui que les méchants sont en grand nombre, le petit nombre des bons se fatiguent au milieu d’eux ; s’ils se fatiguent, ils suent, et s’ils suent, c’est l’or qui s’épure. Sers donc à embellir la maison de Dieu. La faiblesse humaine t’a résisté intérieurement ; prie pour obtenir la victoire : que Dieu te vienne en aide, que Celui qui commande t’aide à obéir. Mais tu as triomphé de ta faiblesse ; tu as repris courage, tu as reçu la grâce de prier pour ton ennemi. Vois quel bien en résulte ; compare. Il cherche des moyens de t’attaquer ; tu répands pour lui des prières. S’il te nuit, c’est ouvertement : quand tu pries pour lui, tu as Dieu pour témoin ; mais il ne le croit pas, parce qu’il ne sonde pas ton cœur. Quand donc il te manque ouvertement au moment même où en secret tu pries pour lui, vois si sous ce pressoir, car l’Église est comparée aussi à un pressoir, cet ennemi n’est pas l’écume qui se répand en public. L’écume se répand en public ; l’huile trouve des voies secrètes pour se rendre dans la coupe ; et quoiqu’elle coule secrètement on la voit réunie en grande quantité. O mes frères, combien est-il d’hommes qui dans cette tourmente universelle, au milieu de la malice du monde, et dans cette effroyable quantité de maux, se sont recueillis et convertis au Seigneur, ont dit adieu au monde et ont tout-à-coup commencé à distribuer leurs biens aux pauvres, après avoir peu auparavant dérobé le bien d’autrui ! Si l’on voit en public beaucoup de ravisseurs, d’envahisseurs et de spoliateurs, c’est l’écume qui se répand dans les rués. Quant aux bons, l’un est ici, l’autre est là, mais ils sont unis de cœur ; ils rougiraient de continuer à faire le mal, ils demandent les avis de Dieu, ils se rient des espérances du siècle, attendant celles du ciel, ils changent et d’affections et de mœurs : c’est l’huile de la sainteté sous le pressoir, c’est le vase d’honneur dans la grande maison, c’est l’or dans le creuset, c’est le grain dans le grenier, c’est la beauté de la maison de Dieu.

  1. Ps. 16, 4
  2. Mt. 5, 44-45