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Mais que sont devenues ces paroles du Seigneur : « Va à Sarepta des Sidoniens ; là en effet j’ai commandé à une veuve de te nourrir ? » Observez comment Dieu donne ses ordres ; ce n’est pas à l’oreille, mais au cœur. Avons-nous lu qu’aucun prophète ait été envoyé vers la veuve et qu’il lui ait dit : Voici ce que veut le Seigneur : Vers toi viendra mon serviteur souffrant de la faim, donne-lui de ce que tu as ; ne crains pas la disette, je te dédommagerai de ce que tu auras fait pour lui ? Nous ne lisons pas que ce langage lui ; ait été adressé. Nous ne lisons pas non plus qu’un Ange lui ait été envoyé en songe, qu’il l’ait prévenue qu’Élie allait venir souffrant de la faim, ni que personne l’ait avertie de le nourrir. Dieu parle à la pensée et il a des moyens admirables pour donner ses ordres. Si donc il commanda à cette veuve, ce fut, croyons-nous, en lui parlant au cœur, en lui inspirant ce qu’il fallait faire, en lui persuadant ce qui était bon. Ne lisons-nous pas dans un prophète que le Seigneur commanda à un ver de ronger la racine d’un arbrisseau [1] ? Que signifie : Il commanda, sinon : Il le disposa ? L’inspiration du Seigneur avait donc préparé le cœur de cette femme à obéir à Élie et telle était sa disposition quand elle vint et s’entretint avec lui. Celui qui inspirait à Élie de commander inspirait à la veuve d’obéir. « Va lui dit le prophète, donne-moi d’abord du peu qui te reste ; » tes provisions ne manqueront pas. Cette femme n’avait plus en effet qu’un peu de farine et un peu d’huile. Ce peu ne s’épuisa point. Qui possède autant ? Cette infortunée, dont tout le bien pouvait être suspendu à un clou, avait plaisir à apaiser la faim du serviteur de Dieu. Quoi de plus heureux que sa pauvreté ? Si elle reçoit tant en cette vie, que ne doit-elle pas espérer en l’autre ?
3. Aussi je vous l’ai dit, n’attendons point le fruit de notre travail dans ce temps où nous semons. Maintenant nous ensemençons avec fatigue le champ des bonnes œuvres ; plus tard nous en recueillerons les fruits avec joie. N’est-il pas écrit : « Ils allaient et pleuraient en répandant leurs semences ; mais ils reviendront avec joie portant leurs gerbes dans leurs mains [2] ? « Ce que fit Élie pour la veuve était un emblème, non la vraie récompense. Car si cette veuve fut alors récompensée d’avoir nourri l’homme de Dieu, il faut avouer qu’elle n’avait pas semé beaucoup puisqu’elle recueillit peu. Qu’était-ce que cette farine qui ne s’épuisa point et cette huile qui ne tarit point avant que Dieu fit tomber la pluie sur la terre ? Ce n’était que du temporel ; et après que le Seigneur eut daigné envoyer la pluie, cette femme sentit davantage le besoin : il lui fallut alors cultiver la terre, attendre et faire la moisson ; au lieu que pendant la sécheresse sa nourriture était toute facile à préparer. Le miracle que Dieu faisait en sa faveur pendant quelques jours rappelait donc cette vie future où la récompense ne saurait finir. Notre pain sera Dieu lui-même ; et comme les aliments de la veuve furent inépuisables pendant quelques jours, ce pain nous rassasiera durant l’éternité. Telle est la récompense qu’il nous faut espérer en faisant le bien. Gardez-vous de céder à la tentation et de dire : Je nourrirai quelque serviteur de Dieu dans le besoin, et ma coupe ne tarira point, et je trouverai toujours du vin dans ma cuve. Ne cherche pas cela. Sème tranquillement plus tard viendra la moisson, mais elle viendra, et tu en jouiras sans fin.

  1. Jon. 4, 7
  2. Ps. 125, 6