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encore emporté contre nous et qu’il nous persécute. Ainsi on accomplira soit le précepte ancien, puisqu’on aimera l’homme qui est le prochain et puisqu’on haïra le diable qui est l’ennemi ; soit le précepte nouveau, puisqu’on aimera les hommes, tout ennemis qu’ils soient, et puisqu’on priera pour ceux qui persécutent.
17. Croirais-tu que dans ces premiers temps du Christianisme les chrétiens ne priaient pas pour Saul qui les persécutait ? Mais n’est-ce pas la prière du martyr Étienne qui obtint de Dieu sa conversion ? Car Saut était du nombre de ses persécuteurs et il gardait leurs vêtements [1]. Cet Apôtre écrivait lui-même à Timothée : « Je demande avant tout comme une grâce qu’on fasse des supplications, des prières, des demandes, des actions de grâces pour tous les hommes ; pour les rois et tous ceux qui sont en dignité, afin que nous menions une vie « paisible et tranquille[2]. » Ainsi donc il ordonnait qu’on priât pour les rois qui alors persécutaient les Églises ; tandis qu’ils défendent aujourd’hui ces mêmes Églises qui priaient alors pour eux et qui maintenant sont exaucées pour leur bonheur.
18. Veux-tu observer aussi le précepte donné aux anciens ? Aime ton prochain, c’est-à-dire tous les hommes ; puisque issus tous de deux premiers parents, nous sommes conséquemment tous proches l’un à l’autre. Il est certain d’ailleurs que Celui qui nous commande d’aimer nos ennemis, que Jésus-Christ notre Seigneur, a résumé toute la Loi et les prophètes dans les deux préceptes suivants : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout cœur, et de toute ton âme, et de tout ton esprit ; » et : « tu aimeras ton prochain comme toi-même[3]. » Il n’est pas fait mention ici de l’amour des ennemis ; ne s’ensuit-il pas que ces deux commandements ne résument pas toute la Loi ? Nullement ; car en disant : a Tu aimeras ton prochain », il comprend dans ce dernier mot tous les hommes, fussent-ils ennemis. Au point de vue même de la parenté spirituelle, tu ignores ce qu’est vis-à-vis de toi, dans la prescience divine, celui que tu crois maintenant ton ennemi. En effet, comme la patience de Dieu l’attire à faire pénitence, il est possible qu’il finisse par reconnaître et suivre ces attraits. Eh ! si Dieu lui-même, si Dieu qui sait d’avance quels sont ceux qui continueront la trame de leurs iniquités, ceux qui abandonneront les voies de la justice et se jetteront irrévocablement dans le mal ; ne laisse pas de faire lever son soleil sur les bons et sur les méchants, ni de faire pleuvoir sur les justes et sur les pécheurs ; si sa patience les invite à faire pénitence en menaçant, pour la fin, des rigueurs de sa justice ceux qui auront dédaigné les attraits de sa bonté ; avec quel empressement chacun de nous ne doit-il pas se calmer, pour ne pas s’exposer, dans son ignorance de l’avenir, à haïr Celui avec qui il régnera dans l’éternelle félicité et qu’il regarde maintenant comme son ennemi ? Accomplis donc l’ancien précepte, aime dans ton prochain tous les hommes et hais le diable ton ennemi. Accomplis aussi le précepte nouveau ; aime tes ennemis, pourvu qu’ils soient des hommes ; prie pour ceux qui te persécutent, s’ils sont hommes aussi ; et s’ils sont hommes encore, fais du bien à ceux qui te haïssent.
19. « Si ton ennemi a faim, donne-lui à manger, et à boire, s’il a soif ; car en agissant ainsi, tu amasseras des charbons sur sa tête [4]. » Ici encore une question : Comment aimer un homme qu’on veut brûler par des charbons ? Mais il suffit de bien comprendre pour faire disparaître toute difficulté. Les charbons dont il est ici parlé sont les charbons dévorants que Dieu donne à l’homme pour le délivrer de la langue trompeuse[5]. Car en faisant du bien à un ennemi, en ne se laissant pas vaincre par sa malice et en triomphant du mal par le bien, on l’amène souvent à se repentir de sa haine et à regretter d’avoir nui à un homme qui lui fait tant de bien. La combustion qu’il éprouve est la pénitence même qui détruit en lui, comme des charbons ardents, la haine et la méchanceté.

  1. Act. 7,67
  2. 1 Tim. 2, 1-2
  3. Mt. 22, 37-40
  4. Rom. 12, 20
  5. Ps. 119, 3, 4