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moi, elle-même est accouchée d’un fils. Nous étions ensemble dans cette maison et il n’y avait que nous deux. Le fils de cette femme est mort pendant la nuit, elle. l’a étouffé en dormant. Et, se levant au milieu de la nuit, elle a pris mon fils entre mes bras, elle l’a placé sur son sein, et sur le mien son fils qui était mort. Je me levai le matin pour allaiter mon enfant, et il était mort ; je le considérai à la lumière, et ce n’était pas le fils que j’ai mis au monde. – Cette autre femme répondit : Tu n’as pas raison : c’est mon fils qui est vivant et le tien qui est mort. La première répondit à son tour : au contraire, c’est ton fils qui est mort, et le mien qui est vivant. Elles disputèrent ainsi devant le Roi. Le Roi reprit, s’adressant à elles : Tu dis, toi : Voici mon fils qui est vivant et le sien est mort ; toi au contraire : Non, c’est le mien qui vit et le sien qui est mort. Apportez-moi une épée, continua le Roi. On apporta une épée en présence du Roi et il dit : Séparez en deux cet enfant qui vit, donnez-en moitié à celle-ci et moitié à celle-là. Alors la femme à qui appartenait le fils qui était vivant répondit, car ses entrailles s’étaient émues pour son fils : Considérez, Seigneur, donnez-lui l’enfant et ne le faites point mourir. L’autre, au contraire : Qu’il ne soit ni à moi ni à elle, mais partagez-le. Le Roi reprit la parole et s’adressant à la femme qui avait dit : Donnez-le-lui et ne le faites pas mourir, il déclara : Voilà sa mère[1]. » La divine prudence du Roi Salomon brille dans ce jugement d’un éclat admirable. Laquelle des deux femmes pouvait-on ou devait-on regarder comme étant la vraie mère de l’enfant, sinon celle qui le conçut en quelle sorte de nouveau lorsqu’elle vit qu’on le lui avait enlevé ; qui de nouveau souffrit pour lui les douleurs de l’enfantement lorsqu’elle le défendit contre sa rivale, et qui de nouveau le mit au monde en ne le laissant point égorger ? Cependant comme les livres de l’ancien Testament, en rapportant fidèlement un fait accompli, ont l’habitude de faire entendre quelque prophétie mystérieuse ; considérons si les deux femmes dont il est ici question signifient et figurent quelque chose.
2. Les deux femmes représentent tout d’abord l’Église et la Synagogue. La Synagogue n’est-elle, pas convaincue d’avoir fait périr le Christ, son fils selon la chair, puisqu’il est né des Juifs ? Elle l’a fait périr en dormant, c’est-à-dire quand se laissant entraîner aux fausses lumières de cette vie, elle ne vit point la vérité dans l’enseignement du Seigneur. Mais il est écrit : « Lève-toi, toi qui dors ; lève-toi d’entre les morts, et le Christ t’illuminera [2]. » Si elles étaient deux et demeuraient seules dans la même maison, n’est-ce point parce que dans tout l’univers il n’y a, en fait de religion, que la Circoncision et la Gentilité ? L’une d’elles alors figurerait le peuple juif, réuni sous la loi et dans le culte d’un seul Dieu ; l’autre désignerait tous les gentils, livrés à l’adoration des idoles. Toutes deux étaient des courtisanes car les Juifs et les Gentils, dit l’Apôtre, étaient également sous le poids du péché[3] ; et toute âme qui abandonne l’éternelle vérité pour se souiller dans les plaisirs de la terre, est une vraie prostituée à l’égard de Dieu. Il est évident que l’Église qui s’est formée au sein de la gentilité prostituée n’a point mis à mort le Christ ; mais comment peut-on dire quelle aussi soit la mère du Christ ? Il faut l’examiner. Songe donc à l’Évangile, écoute le Seigneur ; il y dit : «, Quiconque fait la volonté de mon Père, celui-là est ma mère, et mon frère et ma sœur[4]. » Cette mère n’a point étouffé son fils durant son sommeil, mais on a pu le lui enlever plein de vie et mettre à sa place un enfant mort. Où donc s’est-elle endormie ? Le sacrement de la circoncision était comme mort pour les Juifs qui l’envisageaient charnellement ; il ne vivait pas pour ces malheureux qui avaient mis à mort le Christ, la vie de tous les sacrements, car pour y puiser la vie il fallait comprendre dans un sens spirituel ce qui s’y faisait d’une manière visible ce sacrement de la circoncision était donc un corps sans âme. Or les Juifs voulurent y amener les Gentils convertis au Christ, comme il est écrit dans les Actes des Apôtres ; ils assuraient qu’il était impossible d’être sauvé sans se faire circoncire[5] : mais ils ne réussirent qu’auprès de ceux qui ignoraient la loi. N’était-ce point en i quelque sorte profiter des ténèbres de la nuit pour substituer l’enfant mort ? Et la partie de l’Église des gentils qui se laissa persuader, n’était-elle point comme assoupie dans le sommeil de la déraison ? Aussi l’Apôtre semblé la réveiller de ce sommeil lorsqu’il s’écrie : « O Galates insensés, qui vous a fascinés ? » et un peu après : « Êtes-vous si insensés, qu’ayant commencé par l’esprit, vous finissiez maintenant par la chair[6] ? » Comme s’il disait : Êtes-vous si insensés

  1. 2 R. 3, 16-27
  2. Eph. 5, 14
  3. Rom. 3, 25
  4. Mt. 12, 50
  5. Act. 15, 1
  6. Gal. 3, 1, 3