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nous faut demander, chercher, frapper. Faisons-le avec une piété pleine de foi, non pas avec une inquiétude charnelle, mais avec une humble dépendance ; et Celui qui nous voit frapper ne dédaignera pas de nous ouvrir.
2. Recevez donc avec attention, avec une pieuse avidité, ce que le Seigneur va me mettre en main pour vous le distribuer ; et après avoir entendu mes paroles, la pureté de votre goût vous dira sans doute à quel divin trésor je les ai puisées. Le Seigneur Jésus savait ce qui pouvait rassasier l’âme humaine, cette intelligence créée à l’image de Dieu ; il savait qu’il ne lui fallait rien moins que lui-même, et il savait aussi qu’elle n’en était point remplie encore ; car s’il se montrait sous un rapport, sous un autre il se cachait, connaissant parfaitement ce qu’il convenait de mettre en relief et ce qu’il convenait de laisser dans l’ombre.« Seigneur », est-il dit dans un psaume, « combien est grande l’abondance de votre douceur, que vous cachez à ceux qui vous craignent et que vous communiquez généreusement à ceux qui espèrent en vous [1] ! » Oui, vous les dérobez à ceux qui vous craignent, ces délices divines, immenses, infinies. Si vous les cachez à ceux qui vous craignent, à qui les révélez-vous ? « Vous les communiquez généreusement à ceux qui espèrent en vous. » Voici donc une double question ; mais la solution de l’une est l’éclaircissement de l’autre. Pourquoi, dira-t-on en examinant la seconde, pourquoi « avez-vous caché à ceux qui vous craignent et communiqué généreusement à ceux qui espèrent en vous ? » Ceux qui craignent sont-ils différents de ceux qui espèrent ? Ceux qui craignent Dieu n’espèrent-ils pas en lui ? Comment espérer en lui sans le craindre, et comment le craindre, pieusement sans espérer en lui ? Commençons par résoudre ce problème ; un mot de l’espérance et de la crainte.
3. La crainte est le caractère de la Loi, l’espérance celui de la grâce. – Peut-il y avoir une différence entre la Loi et la grâce, puisque la Loi et la grâce jaillissent de la même source ? La Loi effraie ceux qui présument d’eux-mêmes : la grâce soutient ceux qui espèrent en Dieu. Oui, la Loi effraie ; ne passez pas légèrement sur ce petit mot : pesez-le et appréciez en l’importance. Comprenez bien ce double caractère, écoutez et saisissez nos preuves. La Loi, disons-nous, effraie ceux qui présument d’eux-mêmes ; la grâce soutient ceux qui espèrent en Dieu. En effet, que contient la Loi ? Beaucoup de prescriptions. Mais pourquoi chercher à les énumérer ? Je n’en rappellerai qu’une seule, elle est fort courte et déjà rappelée par l’Apôtre ; qui cependant l’observe ? La voici : « Tu « ne convoiteras pas. » Attention ! mes frères, c’est bien la Loi ; mais sans la grâce c’est ta condamnation. Pourquoi, présomptueux, pourquoi tant te vanter et tant te vanter de ton innocence ? Pourquoi t’en faire tant accroire ? Tu peux dire, sans doute. Je n’ai pas dérobé le bien d’autrui : je t’écoute, je te crois ; je pourrais peut-être même constater par moi-même que tu né dérobes pas ce qui n’est pas à toi. Mais il s’agit de ne pas convoiter. – Je n’approche pas de la femme d’un autre. — Ici encore je t’écoute, je te crois, je constate. Mais il s’agit de ne pas convoiter. Pourquoi regarder autour et non au dedans de toi ? Regarde en toi, et tu verras dans tes membres une loi contraire. Regarde bien en toi pourquoi te jeter en dehors ? Descends en toi, et tu découvriras dans tes membres une loi qui résiste à la loi de ton esprit et qui t’assujettit à elle-même, à cette loi du péché qui vit en tes membres. Comment goûter alors les divines douceurs, esclave que tu es de la loi charnelle, de la loi opposée à la loi de ton esprit ? Les Anges s’abreuvent de ces douceurs qui te sont inconnues, et ce sont les chaînes de ton esclavage qui t’empêchent d’atteindre jusques là. « Si la Loi n’avait dit : Tu ne convoiteras pas », tu ignorerais « la convoitise. » En entendant la loi tu as craint, tu as essayé de combattre, mais sans pouvoir vaincre. Car « prenant occasion de ce précepte, le péché a produit la mort. » Ainsi parle l’Apôtre, vous reconnaissez son langage. « Prenant occasion du commandement ; le péché, dit-il, a développé en moi toute concupiscence. » Pourquoi tant de jactance et tant d’orgueil ? Tu le vois, c’est avec tes propres armes que l’ennemi t’a vaincu. Tu voulais une loi pour t’instruire, et la loi même a servi d’entrée à ton ennemi. « Car, prenant occasion du commandement, le péché m’a séduit, continue l’Apôtre, et par lui m’a tué. » Comment ai-je pu dire. C’est par tes propres armes que l’ennemi t’a vaincu ? Écoute la suite du discours de l’Apôtre. « Ainsi la Loi est sainte, le commandement est saint, juste et bon. Ce qui est bon est donc devenu pour moi la mort ? Loin de là ; mais le péché, pour se révéler, s’est servi de ce qui est bon pour me causer la mort [2]. »

  1. Ps. 30, 20
  2. Rom. 7, 7-13, 23