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trésor est mieux en sûreté, ne faut-il pas l’envoyer à ton fils ? Si tu l’envoies il ne sera point perdu et on le conservera ici où il peut se perdre, sans l’envoyer là-haut où le Christ en sera le gardien ? Tu confies à tes hommes d’affaires la part de ce fils qui est parti, et tu ne la confies pas au Christ près de qui il est ? Jugerais-tu ton procureur plus sûr que le Christ ?
29. Vous le voyez, frères, c’est un mensonge de dire : Je conserve pour mes enfants. Oui, mes frères, c’est un mensonge ; ces hommes sont avares. Qu’ils rougissent au moins maintenant de taire, ce qu’ils sont, et qu’ils fassent l’aveu qui leur répugne : qu’ils répandent, qu’ils vomissent en quelque sorte ce qu’ils ont sur le cœur. Leur conscience est chargée d’iniquité ; qu’ils vomissent en le confessant, mais qu’ils n’imitent point cet animal qui reprend ce qu’il a vomi. Soyez chrétiens, c’est peu d’en porter le nom. Combien donnez-vous pour des histrions ? Combien pour des gladiateurs ? Combien pour des femmes d’ignominie ? Vous leur donnez pour vous tuer. Si vous luttiez follement à qui conservera davantage, vous ne seriez point pardonnables. Lutter follement à qui conservera davantage, c’est avarice ; à qui donnera davantage, c’est profusion. Dieu ne te veut ni avare ni prodigue. Il veut que tu places ton avoir, non que tu le jettes. Vous luttez à qui l’emportera dans le mal, sans avouer quel est le plus mauvis d’entre vous, et vous dites : Nous sommes chrétiens. Pour capter la faveur du peuple vous prodiguez vos biens ; vous les gardez contre les ordres du Christ. Voyez, le Christ ne commande pas, il prie, il est dans le besoin. « J’ai eu faim, dit-il, et vous ne m’avez pas donné à mener [1]. » Pour l’amour de nous il a voulu être dans le besoin ; il a voulu vous obtenir la grâce de semer en quelque sorte ses dons terrestres, afin que vous puissiez moissonner la vie éternelle. Ne vous laissez aller ni à la paresse ni à une fausse sécurité. Corrigez vos mœurs, rachetez vos péchés, et après l’avoir fait, rendez grâces à Dieu qui vous a accordé de vivre chrétiennement. Mais en lui rendant grâces, gardez-vous d’insulter à quine vit pas encore convenablement : encouragez-le plutôt par votre conduite.A ces conditions votre justice sera aussi parfaite qu’elle peut l’être dans ce monde. Vivez dans les bonnes œuvres, dans la prière, dans le jeûne, dans l’aumône, pour effacer les péchés légers ; et abstenez-vous des péchés graves dont nous avons parlé : ainsi vous vous accorderez avec votre adversaire et vous pourrez dire sans crainte : « Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés[2]. » Si vous avez chaque jour à pardonner, vous avez besoin aussi qu’on vous pardonne chaque jour. En marchant d’un pas assuré dans la voie véritable, vous ne redouterez point les attaques du diable : car c’est le Christ qui s’est fait lui-même la voie et la grande route par laquelle il nous conduit à la patrie. Là on jouit d’une plaine sécurité, d’un entier repos : il n’y aura plus d’œuvres de miséricorde, car il n’y aura plus tee malheureux à secourir. Ce sera donc le Sabbat des sabbats, et nous y trouverons ce que nous cherchons ici. Ainsi soit-il.


SERMON X. JUGEMENT DE SALOMON.

Analyse. – Saint Augustin s’attache à montrer le sens allégorique de cette mémorable histoire. Les deux femmes qui revendiquent l’enfant demeuré en vie, désignent premièrement la Synagogue et l’Église qui se prétendent, l’une et l’autre, mères de Jésus-Christ. Elles rappellent aussi les Chrétiens sincères et les Chrétiens hypocrites. Tandis que ceux-ci n’ont en vue que les biens temporels, les autres sacrifient tout, l’honneur même, l’honneur humain, aux besoins de la charité. – C’est une allusion manifeste à la noble conduite de ces Évêques catholiques qui se montraient tout disposés à quitter leurs sièges pour éteindre le schisme des Donatistes.


1. Deux femmes se disputaient un petit enfant, et l’Écriture rapporte, aux livres des Rois, que Salomon prononça un jugement admirable. Voici l’histoire : « Deux courtisanes se présentèrent au Roi Salomon et s’arrêtèrent devant lui. L’une lui dit : Considérez, Seigneur. Nous demeurions, cette femme et moi, dans une même maison, et j’y suis accouchée. Trois jours après

  1. Mt. 25, 42
  2. Id. 6, 12