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restèrent aveugles. On le vit, quand ils reprochèrent au Seigneur d’avoir violé le sabbat en faisant de la boue avec sa salive et en en mettant sur les yeux de l’aveugle. Sans doute l’accusation était manifestement fausse, puisqu’ils reprochaient au Sauveur des guérisons opérées par sa seule parole. Était-ce travailler le jour du sabbat que de dire simplement pour faire ? C’était une évidente calomnie, c’était accuser un simple commandement, accuser une simple parole : eux-mêmes s’abstenaient-ils donc de parler le jour du sabbat ? Je pourrais affirmer qu’ils ne parlent ni le jour du sabbat, ni aucun autre jour, puisqu’ils ont cessé de louer le vrai Dieu. Il est vrai cependant qu’ils calomniaient ouvertement le Sauveur, ainsi que je l’ai déjà observé. Le Seigneur disait à un homme : « Étends la main », cet homme guérissait et on criait à la violation du sabbat [1] ! Mais qu’a fait Jésus ? À quel travail s’est-il livré ? Quel fardeau a-t-il porté ? Maintenant qu’il crache à terre, qu’il forme de la boue et qu’il en met sur les yeux d’un aveugle, il travaille à la vérité ; nul ne doit le révoquer en doute, il travaille, il abolit le sabbat, et toutefois il ne se rend point coupable. Pourquoi ai-je dit qu’il abolissait le sabbat : Parce qu’il était la lumière qui venait écarter les ombres. Le sabbat en effet avait été établi parle Seigneur notre Dieu et par le Christ même, uni au Père pour la promulgation de cette loi ; mais il avait été établi comme l’ombre de ce qui devait arriver. « Que personne donc ne vous juge sur le manger ou sur le boire ; ou à cause des jours de fête, ou des néoménies, ou des sabbats, ce qui n’est que l’ombre des choses futures[2]. » On voyait arrivé Celui qu’annonçaient ces institutions. Pourquoi se plaire encore dans l’ombre ? Juifs, ouvrez les yeux, voilà le soleil. « Nous savons, dites-vous. » Que savez-vous, ô cœurs aveugles ? Que savez-vous ? – « Que cet homme n’est point de Dieu, puisqu’il viole ainsi le sabbat. » – Le sabbat, malheureux, le sabbat ! Mais il a été publié par ce même Christ que vous prétendez n’être point de Dieu. Et observant le sabbat d’une manière charnelle, vous n’êtes point sanctifiés par la salive du Christ. Voyez dans le sabbat l’empreinte du Messie et vous comprendrez que le sabbat est une prophétie qui l’annonce. Mais vous n’avez pas sur les yeux la boue faite avec la salive du Christ, c’est pourquoi vous n’êtes pas allés à Siloé, pour vous y laver et vous êtes restés aveugles ; ne voyant pas le bonheur de cet aveugle qui a recouvré la vue du corps et de l’esprit. C’est lui qui a reçu sur ses yeux la boue faite avec la salive ; il s’est approché ensuite de Siloé, il s’est lavé, il a cru au Christ, il a vu et il n’est pas resté sous l’arrêt de cette formidable sentence « Je suis venu dans ce monde pour juger ; afin que ceux qui ne voient pas, voient, et que ceux qui voient deviennent aveugles. »
4. Quelle menace ! J’aime à entendre : « Afin que ceux qui ne voient pas, voient. » Un Sauveur, un médecin doit faire « que ceux qui ne « voient pas, voient. » Mais pourquoi, Seigneur, avez-vous ajouté : « Afin que ceux qui voient, deviennent aveugles ? » Si nous comprenons bien, rien ne nous paraîtra ni plus vrai ni plus juste. Que faut-il entendre par « ceux qui voient ? » – Les Juifs. – Les Juifs voient donc ? – Ils le prétendent, mais en réalité ils ne voient pas. – Que signifie donc « Ils voient ? » – Ils pensent voir, ils croient voir. Car ils croyaient voir, quand ils défendaient la Loi contre le Christ. « Nous savons », disaient-ils ; voilà comment ils voient. « Nous savons » ne signifie-t-il pas : nous voyons ? Pourquoi ajouter : « Que cet homme ne vient pas de Dieu, puisqu’il viole ainsi le sabbat ? » C’est que ces prétendus voyants lisaient la lettre de la Loi, où il était prescrit de lapider quiconque violerait le sabbat [3] ; et pour ce motif ils soutenaient que cet homme ne venait pas de Dieu. Mais ces voyants étaient aveugles et ils ne voyaient pas que le Juge futur des vivants et des morts était déjà venu dans le monde pour juger. Quel arrêt rend-il ? Il fait « que ceux qui ne voient pas, « voient ; » c’est-à-dire que ceux qui reconnaissent leur aveuglement soient éclairés ; « et que ceux qui voient deviennent aveugles ; » c’est-à-dire que ceux qui ne confessent pas leur aveuglement soient plus endurcis qu’ils ne l’étaient. Aussi voyez l’accomplissement de ce dernier arrêt. Les défenseurs de la Loi, les commentateurs de la Loi, les docteurs de la Loi, les savants dans la Loi ont crucifié l’Auteur même de la Loi. Quel aveuglement ! Et une partie d’Israël y est tombée. Elle y est tombée, ce qui a fait crucifier le Christ et entrer la plénitude des gentils. Que signifie : « Afin que ceux qui ne voient pas, voient ? » – « Afin que la plénitude des gentils

  1. Mat. 12, 10-14
  2. Col. 11, 16
  3. Nom. 15, 36