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cherche pas l’élévation, pour éviter d’être à sec.
4. Tu répliques : Je suis maintenant dans la bonne voie ; j’avais besoin d’en être instruit, j’avais besoin d’apprendre, des enseignements de la Loi, ce que je devais faire ; j’ai la liberté, qui m’éloignera du droit chemin ? – En lisant l’Écriture avec attention, tu y verras un homme s’enorgueillir d’abord de richesses spirituelles, que pourtant il avait reçues ; le Seigneur, pour lui inspirer l’humilité, lui enlève dans sa compassion ce qu’il lui avait donné ; et lui, tombé tout-à-coup dans l’indigence, se souvient du passé et publie ainsi les divines miséricordes : « J’ai dit dans mon bonheur : Jamais je ne serai ébranlé. – J’ai dit dans mon bonheur ; » mais c’est moi qui l’ai dit, moi qui ne suis qu’un homme, et « tout homme est menteur[1]. » – J’ai donc dit ; « j’ai dit dans mon bonheur ; » ce bonheur était si grand que j’ai osé dire : « Jamais je ne serai ébranlé. » Et puis ? « Dans votre bonté, Seigneur, vous avez joint pour moi la force à la beauté. Mais vous avez détourné la face, et j’ai été dans le trouble[2]. » Vous m’avez montré que toute ma richesse venait de la vôtre. Vous m’avez montré à qui je devais demander, à qui faire remonter ce que j’avais reçu, à qui je devais rendre grâces et vers qui je devais courir pour étancher ma soif et pour me fortifier, près de qui enfin je pourrais conserver les forces dont je me sentais pénétré. Car il est dit : « C’est près de vous, Seigneur, que je conserverai mon courage[3] ; » c’est vous qui m’enrichissez, et c’est par vous que je ne perdrai pas mes richesses. « Près de vous je garderai ma force ; » et pour m’en convaincre, « vous avez détourné la face et je suis tombé dans la défaillance. »
J’ai défailli, parce que je me suis desséché, et je me suis desséché pour m’être élevé. Terrain sec et aride, dis donc pour obtenir d’être arrosé : « Mon âme est devant vous comme une terre sans eau[4]. » Répète : « Mon âme est devant vous comme une terre sans eau. » C’est toi en effet et non pas le Seigneur, qui avais dit d’abord : « Jamais je ne serai ébranlé. » Tu avais dit cela dans ta présomption ; mais ton bonheur ne venait pas de toi, et ne te regardais-tu pas un peu comme en étant l’auteur ?
5. Qu’enseigne donc le Seigneur ? « Servez le Seigneur avec crainte et réjouissez-vous en lui avec tremblement. » C’est le sens de ces paroles de l’Apôtre : « Faites votre salut avec crainte et tremblement ; car c’est Dieu qui produit en vous et le vouloir et le faire. » Pour ce motif donc, « réjouissez-vous avec tremblement, de peur que le Seigneur ne s’irrite. » Je comprends à vos cris que vous devancez ma parole ; vous savez ce que je vais ajouter, vos cris le disent d’avance. Mais comment le savez-vous, sinon par l’enseignement de Celui à qui vous attache la foi ? Il l’enseigne en effet ; écoutez donc ce que vous savez déjà ; je ne vous apprends rien, ma prédication ne fait que vous rappeler ; ou plutôt je ne vous apprends pas puisque vous savez ; je ne vous rappelle pas non plus, puisque vous avez l’idée présente. Ainsi donc répétons ensemble ce que vous connaissez aussi bien que nous. Voici les paroles du Seigneur : « Soumettez-vous à la discipline et tressaillez de joie », mais « avec crainte », afin que toujours humbles vous conserviez ce que vous avez reçu. « De peur que le Seigneur ne « s’irrite ; » sans doute contre les superbes, contre ceux qui s’attribuent ce qu’ils ont, et qui ne rendent point grâces à leur bienfaiteur. « De peur que le Seigneur ne s’irrite et que vous ne vous écartiez de la droite voie. » Est-il dit De peur que le Seigneur ne s’irrite et que vous n’entriez pas dans la droite voie ? Est-il dit : De peur que le Seigneur ne s’irrite et ne vous amène pas ou ne vous admette pas dans la droite voie ? Vous y marchez déjà, pour ne vous en écarter pas, gardez-vous de l’orgueil. « De peur que vous ne vous écartiez de la droite voie, lorsque soudain sa colère éclatera » sur vous. Elle n’ira pas te chercher au loin ; en t’enorgueillissant tu perds ce que tu avais reçu. Et comme si l’homme effrayé de ce langage, s’écriait : Qu’ai-je donc à faire ? l’auteur sacré poursuit : « Heureux ceux qui se confient en lui[5] », en lui et non pas en eux-mêmes. C’est la grâce qui nous a sauvés ; elle ne vient pas de nous, elle est un don de Dieu[6].
6. Vous direz peut-être : Pourquoi revenir si souvent sur le même sujet ? Voilà la seconde, la troisième fois, et presque jamais il ne prêche sans en parler. – Ah ! si seulement je n’y étais pas forcé ! Il est en effet des hommes bien ingrats pour le bienfait de la grâce et qui donnent trop à la faiblesse de notre nature blessée. Sans doute le libre arbitre était puissant au moment

  1. Psa. 115, II
  2. Psa. 29, 7-8
  3. Psa. 58, 10
  4. Psa. 142, 6
  5. Psa. 2, 11-13
  6. Eph. 2, 8