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pas de comprendre les divines promesses, et on ne saurait nous montrer, dans l’état actuel, ce que nous deviendrons plus tard. Voici un enfant qui vient de naître : il ne peut ni parler, ni marcher, ni rien faire ; mais supposons qu’il puisse comprendre ce qu’on lui dit il est, comme nous voyons ordinairement les enfants, faible, ne pouvant guère qu’être couché et incapable de se passer d’un secours étranger, quoique d’après notre supposition, il comprenne quand on lui parle. Figurons-nous donc qu’on lui dise : Tel que tu me vois aujourd’hui marcher, travailler et parler, tel tu seras dans quelques années. En considérant, d’une part, sa faiblesse, et d’autre part, l’état de celui qui lui tient ce langage, il n’y croirait pas, et pourtant il aurait sous les yeux la réalité de la promesse qui lui est faite. À nous aussi qui sommes, comme des enfants, retenus dans ce corps avec ses infirmités, on nous promet de grandes choses, mais nous n’en voyons pas la réalité, et pour croire ce que nous ne voyons pas et mériter de voir ce que nous croyons, il faut affermir notre foi. Si l’on outrage cette foi, si l’on s’imagine qu’il ne faut pas croire ce que l’on ne voit pas, quelle confusion quand apparaîtra ce qu’on a refusé de croire ! Cette confusion suffira pour séparer des élus, et une foi séparé, c’est la damnation. En croyant au contraire, on méritera d’être placé à la droite, et on se tiendra, plein de confiance et de joie, au milieu de ceux à qui s’adressent ces paroles : « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du mondé. » Et le Seigneur, après cette sentence, conclut ainsi : « Ceux-ci iront dans les flammes éternelles, et les justes, dans l’éternelle vie[1]. » Cette éternelle vie est bien celle qui nous est promise.
2. Ainsi, les hommes aiment à vivre sur cette terre, et on leur promet la vie ; ils redoutent singulièrement la mort, et on leur assure une vie éternelle. Qu’aimes-tu ? A vivre. Tu vivras. Que crains-tu ? De mourir. Tu ne mourras pas. Il semble que la fragilité humaine devrait se contenter de la promesse de vivre éternellement. Ce qui se passe ici fait comprendre en quelque manière à l’esprit humain ce qui nous est réservé dans l’avenir. Et pourtant quelle disproportion ! Ici en effet, parce qu’on vit et qu’on ne voudrait pas mourir, on aime la vie, on veut vivre toujours sans mourir jamais. Ceux néanmoins qui sont tourmentés dans le lieu des châtiments, désirent mourir et ils ne le peuvent. Aussi l’important n’est-il pas de vivre longtemps ni même toujours : c’est de vivre heureux. Aimons toutefois l’éternelle vie, et apprenons combien nous devons travailler pour elle, eu considérant combien travaillent pour la vie présente, pour cette vie passagère et périssable ceux qui y sont attachés ; combien aussi, quand ils sont menacés de la mort, ils s’empressent de tout faire non pas pour empêcher, mais pour ajourner le trépas. Que de peines on se donne en effet, quand on voit approcher la mort, pour la fuir, pour s’y dérober ! on sacrifie tout ce qu’on a pour s’en exempter, on s’épuise, on ne recule devant ni gêne ni torture, on recourt aux médecins, on essaie enfin tout ce qui est possible. Or à quoi aboutissent toutes ces dépenses et toutes ces douleurs ? À obtenir de vivre un peu plus et non pas de vivre toujours. Ah ! si on se livre à tant de travaux, si l’on fait tant d’efforts et tant de frais, si l’on se condamne à tant d’essais, à tant de veilles et à tant de soins pour prolonger un peu sa vie, que ne doit-on pas faire pour vivre éternellement ? Et si l’on appelle prudents ceux qui emploient ainsi tous les moyens pour ajourner leur mort, pour vivre, pour ne perdre pas quelques jours, combien sont insensés ceux qui vivent de manière à perdre l’éternité même ?
3. Afin donc de nous faire apprécier le don de Dieu, il suffit de rapprocher ce qu’il nous promet de ce qu’il nous accorde maintenant ; car c’est à lui que nous sommes redevables de la vie et de la santé. Ainsi représentons-nous, quand on nous parle de vie éternelle, une vie exempte de tout ce que nous endurons dans celle-ci ; car il nous est plus facile de découvrir ce qui n’y est pas, que de dire ce qu’elle est. Ici nous vivons ; là nous vivrons aussi. Nous avons ici la santé quand nous ne souffrons ni maladie ni douleur corporelle ; là aussi nous aurons la santé. Quand enfin nous nous trouvons bien ici, c’est que nous n’avons aucune peine ; nous n’en aurons point là non plus. Suppose maintenant un homme qui a la vie, la santé et qui est exempt de toute peine ; suppose encore qu’il lui est accordé d’être toujours dans le même état, de ne perdre jamais son bonheur, quelle ne serait pas sa joie, son ivresse ? Pourrait-il modérer ses transports en se sentant ainsi sans peine, sans tourment, sans avoir à redouter la mort ? Ainsi, quand même Dieu ne nous promettrait que le

  1. Mat. 25, 34, 46