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été fait ne l’ayant été sans lui, Celle qui était réservée à devenir sa mèren'a pu naître sans être créée par Celui qui plus tard devait naître d’elle-même.
4. Les Juifs donc se troublent. Qu’est-ce que cette conduite, disent-ils ? Pourquoi fait-il ces choses les jours de sabbat ? Ce qui les émeut par-dessus tout, ce sont ces paroles du Seigneur lui-même : « Mon Père travaille sans cesse, et moi je travaille avec lui. » Ce qui les scandalisait, c’est qu’ils comprenaient dans un sens tout charnel le repos que Dieu prit le septième jour après avoir achevé toutes ses œuvres[1]. Il est parlé de ce repos dans la Genèse ; c’est un passage aussi magnifiquement écrit que profondément pensé. Mais les Juifs s’imaginaient que si Dieu s’était reposé le septième jour, c’est qu’il s’était fatigué en travaillant, et que s’il avait béni ce jour, c’est qu’il s’y était remis de sa lassitude : insensés ! ils ne comprenaient pas qu’ayant tout fait d’un mot il n’avait pu se fatiguer. Qu’ils lisent, et qu’ils m’expliquent comment Dieu pouvait se fatiguer en disant : « Qu’il soit fait. » – « Et il était fait : » Parmi les hommes eux-mêmes, qui se fatiguerait aujourd’hui en agissant comme Dieu agissait alors ? « Il dit : Que la lumière soit, et la lumière fut. » – « Soit le firmament, et le firmament fut formé[2]. » Dira-t-on qu’il s’est fatigué parce qu’il a commandé sans être obéi ? L’Écriture répond ailleurs plus brièvement encore : « Il dit, et tout fat fait ; il commanda, et tout fut créé[3]. »
Agir ainsi, est-ce se fatiguer ? Si néanmoins Dieu ne se fatigue pas, comment prend-il du repos ? C’est que ce repos que prend le Seigneur après avoir terminé tous ses ouvrages, est la figure du repos que nous goûterons dans le repos de Dieu ; car le fidèle sera comme en un jour de sabbat, lorsqu’auront passé les six âges du monde. Ces six âges en effet sont comme six jours. Le premier jour s’étend depuis Adam jusqu’à Noé ; le second, du déluge à Abraham ; le troisième, d’Abraham à David ; le quatrième, de David à la transmigration de Babylone ; le cinquième, de la transmigration de Babylone à l’avènement du Messie. Nous sommes au sixième jour, c’est-à-dire au sixième âge. Donc, puisqu’au sixième jour l’homme a été créé à l’image de Dieu, rétablissons en nous cette image[4]. Dieu nous a formés, à nous de nous réformer ; il nous a créés, créons-nous de nouveau. Et après ce jour, après l’âge que nous traversons maintenant, viendra le repos promis aux saints et figuré dès le commencement. Ainsi Dieu, après avoir produit toutes ses créatures ne fit plus rien de nouveau dans le monde, où ses œuvres ne font que se succéder et se transformer, sans qu’aucune espèce nouvelle se soit établie depuis la création. Toutefois, si le monde n’était régi par son auteur, il retomberait dans le néant, Dieu peut-il se refuser à conduire ce qu’il a créé ? Mais comme il n’a rien établi de nouveau, on dit pour ce motif qu’il s’est reposé de tous ses travaux ; et comme il ne cesse de gouverner ce qu’il a fait, le Seigneur a dit avec raison : « Mon Père agit sans cesse. » Que votre charité remarque bien ceci. Quand on répète que Dieu s’est reposé après avoir fini, on veut faire entendre qu’il n’a rien ajouté à ce qu’il a fait d’abord : et quand on dit qu’il ne cesse pas d’agir, on entend qu’il gouverne tout. Gouvernement aussi peu laborieux que l’était peu la création. Gardez-vous de croire en effet, mes frères, que si Dieu ne se fatiguait en créant, il se fatigue en gouvernant comme se fatiguent et ceux qui construisent et ceux qui conduisent un navire. Ils sont des hommes ; mais autant il a été facile à Dieu de tout créer par sa parole, autant il lui est aisé de gouverner tout par l’autorité de son jugement et par son Verbe.
5. Si le désordre se révèle dans les choses humaines, n’en concluons pas qu’elles manquent de direction. Chacun est à sa place, quoique chacun n’y croie pas être. Occupe-toi seulement de ce que tu veux être ; car le divin Ouvrier saura te placer en conséquence. Considère ce peintre voici devant lui diverses couleurs ; ne sait-il pas où placer chacune ? Et si le pécheur prend le noir pour lui, l’Artiste est-il embarrassé ? Que ne fait-il pas avec le noir ? A combien d’ornements ne l’emploie-t-il pas ? Il en fait les cheveux, la barbe, les sourcils ; mais pour le front il lui faut du blanc. Vois donc ce que tu veux devenir, et ne t’inquiète pas de savoir où te placera Celui qui ne se trompe jamais ; il le sait, lui. N’est-ce pas ce que nous apprennent aussi les lois de ce monde ? Un tel a voulu se rendre voleur avec effraction ; la loi de l’empire sait qu’elle a été outragée par lui, elle sait aussi ce qu’elle en fera, et elle le met parfaitement à sa place. Le coupable a mal fait, mais la loi qui le punit ne fait pas plat ; elle le condamne aux mines, et à combien d’œuvres ne l’emploiera-t-elle pas ? Son châtiment servira aux décorations de la ville. Dieu sait également

  1. Gen. 2, 2
  2. Gen. 1, 3, 6-7
  3. Psa. 32, 9
  4. Gen. 1, 27