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dans un lieu, ils sont moindres dans une de leurs parties que dans leur tout. Mais ne nous figurons, n’estimons rien de pareil dans le Verbe de Dieu ; ne consultons point les impressions de la chair pour nous représenter les choses spirituelles. Ce Verbe divin, ce grand Dieu n’est pas moindre dans l’urne de ses parties que dans son tout.
5. Tu ne saurais te représenter cette propriété divine, et il y a plus de piété à ne pas la comprendre qu’à présumer d’en avoir l’intelligence. Souviens-toi que nous parlons de Dieu, car il est dit : « Le Verbe était Dieu. » Nous parlons de Dieu ; est-il donc étonnant que tu ne comprennes pas ? Si tu comprenais, ce ne serait pas Dieu. Avoue donc pieusement ton ignorance, plutôt que de prétendre témérairement avoir l’intelligence. Atteindre Dieu tant soi peu est un grand bonheur, le comprendre est chose absolument impossible. Dieu est à l’esprit ce que le corps est aux yeux ; on connaît Dieu comme on voit le corps. Crois-tu l’œil capable de pénétrer tout ce qu’il voit ? Tu te tromperais étrangement ; tu ne vois aucun objet tout entier. Voir un homme en face, est-ce le voir en même temps par-derrière ? et le voir par-derrière, est-ce en même temps le voir en face ? À proprement parler tu ne comprends donc pas ce que tu vois, et si la mémoire ne conservait en toi le souvenir du côté que tu as vu, tu ne pourrais, en regardant d’un autre côté, dire que tu comprends quoi que ce soit, d’une manière même superficielle. Pour voir une chose, tu la manies, tu la tournes et la retournes ; ou bien tu tournes toi-même pour la considérer sous toutes ses faces. Tu ne saurais donc d’un seul coup d’œil la voir tout entière. En la tournant tu en vois les différentes parties et pour te persuader que tu l’as vue tout entière il faut te rappeler que tu les as vues l’une après l’autre. Ce n’est donc pas l’œil, c’est la mémoire qui agit surtout ici. Que ne peut-on alors, mes frères, dire du Verbe de Dieu ? Des corps exposés à nos regards nous disons que la vue ne saurait les pénétrer tout entiers ; comment donc l’œil du cœur pourrait-il comprendre Dieu ? C’est assez – pour lui, s’il est pur, de l’atteindre, et l’atteindre c’est en quelque façon le toucher d’une manière toute spirituelle, mais sans le comprendre ; et encore la pureté est-elle requise. Or le bonheur de l’homme consiste à atteindre ainsi par le cœur ce qui est toujours heureux, ce qui est l’éternelle béatitude, ce qui est la vie, ce qui, est la sagesse parfaite, et pour l’homme la source de la sagesse ; ce qui est l’éternelle lumière, et pour l’homme le foyer de toute lumière. Remarque donc comment ce tact invisible te transforme sans altérer l’Être mystérieux que tu atteins ; en d’autres termes comment Dieu ne gagne rien à être connu, et comment tu profites en le contemplant. Nous avons dit, il est vrai, que nous payons Dieu, mais ne nous figurons pas, mes très-chers frères, que nous l’enrichissons. Que lui donnons-nous qui puisse ajouter à son être ? N’est-il pas le même si tu t’éloignes de lui, et le même si tu t’en rapproches ? S’il désire qu’on le contemple, n’est-ce pas pour faire le bonheur de ceux qui le regardent et pour frapper d’aveuglement ceux qui se détournent ? Car l’aveuglement est la première vengeance, le commencement des peines qu’il inflige à l’âme qui se détache de lui. N’est-ce pas tomber dans l’aveuglement que de s’éloigner de la lumière véritable, c’est-à-dire de Dieu ? Cette peine n’est pas sensible, elle n’en est pas moins réelle.
6. Aussi, mes très-chers frères, sachons que sans parler de sa naissance temporelle, c’est d’une naissance toute spirituelle, qui le met à l’abri de toute altération et de tout changement, que le Verbe de Dieu est né de son Père. Mais comment persuader à certains infidèles qu’il n’y a rien de contraire à la vérité dans cette doctrine catholique que combattent les Ariens, infatigables ennemis de l’Église de Dieu ? Les hommes charnels ne croient-ils pas plus facilement ce qu’ils voient ? On a donc osé dire : Le Père est plus grand et plus ancien que : le Fils ; le Fils est inférieur au Père et moins ancien que lui. Et voici comme on raisonne : Si le Fils est né, évidemment le Père existait avant lui. Soyez attentifs : que Dieu nous vienne en aide ; implorez son secours par vos prières et par votre pieuse application à recueillir ce que lui-même nous donnera, nous inspirera pour vous ; qu’il nous aide à expliquer de quelque manière le mystère que nous avons entrepris d’exposer. Je l’avoue cependant, mes frères, si je n’y réussis pas, attribuons-en la faute, non pas à la raison, mais à l’homme. Priez donc, je vous en conjure, je vous en supplie ; touchez la miséricorde divine et qu’elle nous mette sur les lèvres les paroles qu’il est nécessaire, à vous d’entendre, et à nous de prononcer.