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ne doit-il pas nous montrer en perspective la fin des temps ? Depuis l’origine jusqu’à ce jour, il y a eu constamment un jour qu’on a pu appeler aujourd’hui ce qui alors était de l’avenir n’est-il pas maintenant du passé ? Il est comme s’il n’avait pas été. Ainsi en sera-t-il de ce qui doit s’écouler jusqu’à la fin. Admettons toutefois que ce temps sera long, aussi étendu que tu peux le penser, le dire, l’imaginer, plus long que ne l’enseigne l’Écriture ; diffère donc ce jour du jugement autant que ton esprit en est capable : s’ensuit-il que tu puisses retarder ton dernier jour, le dernier jour de ta vie, celui où tu dois quitter ce corps ? Si tu le peux, mais qui le peut ? assure-toi de la vieillesse. Hélas ! dès qu’il commence à vivre, l’homme n’est-il point exposé à mourir ? L’assujettissement à la mort ne vient-il pas du commencement de la vie ? Pour n’être pas, sur cette terre et parmi le genre humain, exposé à la mort, il faut n’être pas encore entré dans la vie. Tu ne peux donc te promettre sûrement aucun jour ; et si tu ne peux te promettre aucun jour, accorde-toi avec ton adversaire pendant qu’il chemine avec toi, c’est-à-dire pendant qu’il est avec toi dans cette vie où tous passent et où demeure cet adversaire.
3. Quel est donc cet adversaire ? Ce n’est pas le diable, car l’Écriture ne t’engagerait point à t’accorder avec lui. Il est donc un autre adversaire que l’homme lui-même a rendu son ennemi. D’ailleurs quand même le diable serait ton ennemi, on ne pourrait pas dire qu’il chemine avec toi, Cependant pour t’accorder avec lui, il faut que ton adversaire chemine avec toi, car il sait que si tu ne t’entends avec lui sur la voie, il pourra te livrer au juge, le juge au ministre et le ministre te jeter en prison [1]. Ces paroles sont de l’Évangile et ceux qui les ont lues ou entendues se les rappellent comme nous. Quel est donc ton adversaire, ? La parole de Dieu ; oui la parole de Dieu est ton adversaire. Pourquoi ? Parce qu’elle ordonne le contraire de ce que tu fais. Elle dit : « Ton Dieu est unique, adore un seul Dieu » Et toi, abandonnant Dieu, le légitime époux de ton âme, tu te livres à la fornication avec les démons. Ce qui est plus grave encore, tu ne parais ni abandonner ni répudier ouvertement ton époux, à la manière des apostats ; tu demeures en quelque sorte dans sa maison, et tu, accueilles des adultères ; : comme chrétien tu ne sors pas de l’Église, et tu consultes les devins, les aruspices, les augures, les sorciers : âme prostituée, tu ne quittes pas la demeure de ton mari et tout en lui restant unie tu te souilles avec d’autres. On te dit : « Ne prends pas en vain le nom du Seigneur ton Dieu ; » parce que le Christ a pris l’humanité créée, n’estime point qu’il soit une créature. Et tu le méprises quand il est égal au Père et un seul Dieu avec lui [2]. On te dit d’observer spirituellement le sabbat et non comme l’observent les Juifs : ils gardent le repos du corps pour se livrer à leurs jeux et à leurs débauches. Ah ! mieux vaudrait que le Juif s’occupât utilement dans son champ que d’exciter des séditions au théâtre ; mieux vaudrait que leurs femmes travaillassent la laine que de danser avec impudeur tout le jour sur leurs galeries. On te dit donc d’observer spirituellement le sabbat, dans l’espoir du futur repos que Dieu te promet. On peut se fatiguer sans doute lorsqu’on fait tout ce que l’on peut en vue de ce repos. Si néanmoins on rapporte tout à la foi de ce repos promis, on le possède déjà, non en réalité, mais en espérance. Et toi, tu veux te reposer pour travailler, quand tu devrais travailler pour te reposer ? On te dit : « Honore ton père et ta mère. » Et tu infliges à tes parents des injures que tu ne voudrais pas endurer de la part de tes enfants ? On te dit : « Tu ne tueras point. » Et tu veux mettre à mort ton ennemi ; et si tu ne le fais pas, n’est-ce point la crainte du juge humain plutôt que la pensée de Dieu qui t’en détourne ? Ignores-tu que Dieu lit dans ton cœur et qu’il te voit homicide dans l’âme, quoique celui dont tu diffères la mort soit encore au nombre des vivants ? On te dit : « Tu ne commettras point d’adultère [3] ; » c’est-à-dire tu n’iras point à une femme autre que la tienne. Tu dois l’emporter en vertu sur une femme ; or là chasteté est une vertu. Et pourtant tu tombes au premier choc de la passion ! Tu veux que ton épouse en triomphe, et tu gis vaincu ! Tu es le chef de ta femme, et elle te précède devant Dieu ! Veux-tu que dans ta maison la tête soit en bas ? L’homme est le chef de la femme ; mais partout où la femme est plus sage que l’homme, la tète de la maison est en bas. Si l’homme est le chef, sa vie doit être meilleure, il doit, par toutes sortes de bonnes œuvres, devancer sa femme celle-ci devrait

  1. Mt. 5, 25
  2. Exod. 20, 1-14
  3. Exod. 20, 1-14