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m’avez donné à manger. – Chaque fois que vous l’avez fait pour l’un de ces plus petits d’entre les miens, vous l’avez fait à moi-même[1]. » Ainsi donc, quels sont les plus petits du Christ ? Ce sont ceux qui ont tout abandonné, qui l’ont suivi, et qui ont distribué aux pauvres tout ce qu’ils avaient, afin de servir Dieu sans aucune des entraves du siècle et de prendre leur essor sans être arrêtés par aucune des charges que porte le monde et comme s’ils avaient des ailes. Voilà ceux que le Christ appelle ses plus petits. Pourquoi ce nom ? Parce qu’ils sont humbles, parce qu’ils ne sont ni fiers ni orgueilleux. Pèse néanmoins ces petits ; quel poids de mérites !

2. Pourquoi dire encore qu’il faut s’en faire des amis avec les richesses d’iniquité? Que signifie richesses d’iniquité, mammona iniquitatis? Mammona est une expression qui n’est pas latine, mais hébraïque, et l’hébreu touche à la langue punique, ces deux idiômes ont beaucoup d’analogies. Le mot punique mammon signifie gain, et le mot hébreu mammona veut dire richesses, en sorte que la pensée de Notre-Seigneur Jésus-Christ est bien celle-ci : « Faites-vous des amis avec les richesses d’iniquité. » Il en est qui comprennent mal ce précepte ; ils ravissent le bien d’autrui pour en donner quelque partie et s’imaginent obéir ainsi à Jésus-Christ. Voici leur raisonnement : Le bien pris à autrui est un bien d’iniquité ; en donner surtout aux saints dans l’indigence, c’est se faire des amis avec ce bien d’iniquité. – Redressez une telle interprétation, ou plutôt effacez-la complètement de votre cœur. Gardez-vous, gardez-vous de comprendre ainsi. Faites l’aumône du juste fruit de vos travaux, donnez de ce que vous possédez légitimement. Prétendez-vous corrompre votre juge, corrompre le Christ et obtenir qu’il ne vous cite pas à son tribunal avec les pauvres que vous dépouillez ? Suppose qu’il t’arrive d’abuser de ta force et de ta puissance pour ruiner un homme faible ; suppose que cet homme comparaisse avec toi devant un juge quelconque de la terre, devant un homme revêtu de quelque puissance judiciaire et qu’il veuille soutenir sa cause contre toi : si pour obtenir une sentence favorable, tu donnais au juge une portion de la dépouille enlevée à ce pauvre, franchement l’estimerais-tu ? Il aurait prononcé dans ton intérêt ; telle est toutefois la puissance de la justice que tu le mépriserais toi-même. Garde-toi donc de te représenter Dieu sous ces traits, de placer dans le sanctuaire de ton cœur une idole semblable. Ton Dieu n’est pas ce qu’il t’est interdit d’être toi-même. Tu ne voudrais pas juger de la sorte, tu veux que la justice préside à tes arrêts ; malgré ces bons sentiments ton Dieu est encore meilleur que toi, il ne te cède en rien, il est plus juste, il est la source même de la justice. Si tu as fait du bien, c’est à lui que tu le dois ; si tu as répandu de bonnes idées, tu les as puisées en lui. Quoi ! tu estimes le vase à cause de ce qu’il contient, et tu méprises la source où il se remplit ! Gardez-vous donc de faire des aumônes avec les exactions et l’usure. Je parle ici à des fidèles, je m’adresse à ceux qui reçoivent de nous le corps du Christ. Craignez et corrigez-vous, ne m’obligez pas à dire bientôt : C’est toi et c’est toi le coupable. Si pourtant je dénonce ainsi, vous ne devrez pas, je crois, vous irriter contre moi, mais contre vous, pour vous corriger. C’est ainsi qu’on doit entendre ce passage d’un psaume : « Fâchez-vous, et gardez-vous de pécher[2]. » Je consens que vous vous fâchiez, mais pour éviter le péché. Contre qui en effet vous fâcher pour éviter le péché, sinon contre vous ? Et quel est le vrai pénitent, sinon l’homme irrité contre soi ? Pour obtenir son pardon, il se châtie lui-même et il peut dire à Dieu : « Détournez vos yeux de mes péchés, car je reconnais mon crime[3]. » Si tu le connais, lui l’oublie. – Vous donc qui agissiez de la sorte, ne continuez pas, cette pratique est coupable.

3. Si pourtant l’iniquité est commise, si vous avez acquis des richesses par ces moyens injustes, si vous en avez rempli vos bourses et vos trésors, votre fortune vient d’une source mauvaise ; n’ajoutez pas le mal au mal et faites-vous des amis avec les richesses d’iniquité. La fortune de Zachée était-elle pure ? Lisez et voyez. C’était un chef de publicains, et les publicains percevaient les impôts publics. C’est là qu’il s’était enrichi. En pressurant et en dépouillant un grand nombre de malheureux, il avait acquis beaucoup de biens. Le Christ entra dans sa maison, et le salut avec lui, car le Sauveur, dit expressément : « Aujourd’hui cette maison a reçu le salut. » Voyez en quoi consiste ce salut. D’abord, cet homme désirait voir le Christ, et comme il était de petite taille et que la foule l’empêchait, il monta sur un sycomore et vit passer Jésus. Jésus le regarda : « Zachée, lui dit-il, descends ;

  1. Mat. 25, 40-46
  2. Psa. 4, 5
  3. Psa. 50, 11, 5