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SERMON IX. LE DÉCACHORDE OU LES DIX COMMANDEMENTS[1].

ANALYSE. – Dans ce long et magnifique discours où saint Augustin semble avoir voulu concentrer tous les devoirs de la vie chrétienne et combattre surtout le vice de l’impureté, on peut distinguer trois idées principales. Le grand docteur insiste d’abord sur la nécessité de penser à la justice de Dieu en même temps qu’à sa miséricorde, et sur la nécessité d’observer toute la loi divine pour échapper aux éternels tourments. Il veut en second lieu qu’on observe cette loi, non pas seulement avec crainte, comme les Juifs, mais surtout avec amour ; car elle a pour but de nous rendre semblables à Dieu, de nous délivrer de la tyrannie des, vices, de nous porter à nous conduire envers autrui et envers Dieu lui-même, comme nous désirons qu’on se conduise envers nous. Mais pour arriver à cette fidélité, il faut, et c’est la troisième partie du discours, s’exercer aux bonnes œuvres, éviter avec soin les péchés graves, et effacer chaque jour les péchés légers de chaque jour en faisant d’abondantes aumônes. Combien hélas ! on se méprend sur les péchés légers ! On ne les redoute pas à cause de leur légèreté ; mais ne devraient-ils pas faire trembler à cause de leur quantité ? Qu’on s’empresse donc d’y porter remède, surtout par les œuvres de charité qui assurent le salut.


1. Le Seigneur notre Dieu est clément et compatissant, il est lent à s’irriter et plein de miséricorde et de vérité : mais autant il prodigue la miséricorde dans ce siècle, autant il menace d’un jugement sévère dans le siècle futur. Les paroles que je viens de prononcer sont écrites et des autorités toutes divines disent expressément que « le Seigneur est clément, compatissant, lent à punir, plein de miséricorde et de vérité[2]. » Ce qui plaît singulièrement aux pécheurs et aux amis de ce siècle, c’est que « le Seigneur est clément et compatissant, lent à punir et plein de miséricorde. » Mais si tu es si heureux de ces doux traits sous lesquels il se peint, redoute aussi ce dernier : « et plein de vérité. » S’il était dit seulement : « Le Seigneur est clément, compatissant, lent à punir, et plein de, miséricorde, » tu pourrais songer peut-être à l’impunité, à la sécurité, à la licence du mal, faire ce que tu veux, user du siècle autant qu’il est permis ou que la passion t’y porterait. Si alors de sages avertissements essayaient, par le reproche et la terreur, de t’engager à ne point te laisser aller sans frein à tes passions et à l’oubli de ton Dieu, tu pourrais interrompre ces importuns, lever hardiment le front, citer une autorité divine et lire en quelque sorte dans un livre sacré : Pourquoi me faire peur de notre Dieu ? « Il est clément, compatissant et plein de miséricorde. » Nais pour ôter aux hommes ce prétexte, le prophète ajoute un dernier mot : « Et plein de vérité, » dit-il. Ainsi il tarit la joie d’une téméraire présomption et invite à la crainte de la pénitence. Que la miséricorde de Dieu provoque donc nos transports, mais que sa justice nous pénètre de frayeur. Il épargne tant qu’il se tait. Il se tait, mais il ne se taira point toujours[3]. Écoute lorsqu’il parle aujourd’hui et crains de ne pouvoir te dispenser de l’entendre lorsqu’il parlera au moment du jugement.
2. Tu peux aujourd’hui songer à ta défense ; songes-y avant le suprême jugement de ton Dieu. Sur quoi pourrais-tu établir une fausse confiance ? Lorsqu’il paraîtra, tu ne pourras produire ni faux témoins pour le tromper, ni avocat pour le surprendre par sa faconde ; tu n’essaieras même pas de corrompre ton juge. Mais que faire auprès de ce juge que tu ne saurais ni décevoir ni séduire ? Il y a pourtant quelque chose à faire. Celui qui jugera alors ta cause sera le témoin actuel de ta vie. Nous venons de chanter et de le bénir ; songeons à notre défense. Celui qui voit nos œuvres a entendu nos chants. Que ces chants ne soient pas vides de sens et ne deviennent pas des gémissements. Il est temps de faire promptement la paix avec ton adversaire. Dieu est patient à voir et à punir l’iniquité ; mais aussi son jugement viendra bientôt. La vie humaine trouve long ce qui n’est qu’un moment pour Dieu. Eh ! quelle consolation peut-on trouver dans ce qui parait de Longue durée à ce siècle et au genre humain ? Quand l’humanité devrait vivre longtemps encore, le dernier jour de chacun de nous tardera-t-il beaucoup ? Combien d’années se sont succédées, depuis Adam ? combien se sont écoulées et s’écouleront encore ? Celles qui restent ne sont pas en si grand nombre ; cependant elles passeront jusqu’à la fin des siècles comme ont passé les autres. – Le peu qui reste semble long, mais ce qui est écoulé

  1. Exod. 20, 1-17; Ps. 143, 9
  2. Ps. 85, 16; CLIV, 8
  3. Is. 42, 14