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pensée. « Tâche de te dégager de lui en chemin », dit l’un. « Accorde-toi avec lui », dit l’autre. Sans cet accord en effet, tu ne saurais recouvrer ta liberté. Veux-tu donc te tirer d’entre ses mains ? « Accorde-toi avec lui. » Or, est-ce avec le diable que doit s’accorder un chrétien ?
3. Ainsi donc cherchons cet adversaire avec lequel nous devons tomber d’accord, si nous ne voulons pas qu’il nous livre au juge et que le juge nous livre à l’exécuteur ; cherchons-le et nous entendons avec lui. Si tu pèches, la parole de Dieu ne devient-elle pas ton adversaire ? Si, par exemple, tu aimes à t’enivrer, ne te crie-t-elle pas : Garde-toi de le faire ? Tu aimes les spectacles et les vains divertissements, ne dit-elle pas encore : Abstiens-toi ? Abstiens-toi de l’adultère, crie-t-elle à celui qui y court ; et quelques péchés que tu veuilles commettre pour suivre ta volonté, toujours elle répète : abstiens-toi, s’opposant ainsi à ta volonté, pour assurer ton salut. Quel bon, quel utile adversaire : Il cherche, non pas ce qui nous plaît, mais ce qui nous sert ; il n’est notre ennemi qu’autant que nous sommes nos ennemis nous-mêmes. Oui, si tu es ton propre ennemi, tuas un ennemi encore dans la parole de Dieu ; deviens ton ami, et tu seras d’intelligence avec elle. « Tu ne commettras point d’homicide », dit-elle ; écoute-la et tu es en paix. « Tu ne déroberas point ; » écoute et tu es en paix. « Tu ne seras point adultère », écoute encore et la paix est faite. « Tu ne feras point de faux témoignage ; » sois-y fidèle, et tu es d’accord. « Ne convoite point l’épouse de ton prochain ; » écoute et tu es en paix. « Ne convoite pas non plus son bien [1] ; » écoute encore et tu es en paix. Or en t’accordant sur tous ces points, qu’as-tu perdu ? Non-seulement tu n’as rien perdu, mais tu t’es sauvé toi-même de la perdition où tu t’étais égaré. Le chemin désigne cette vie ; si nous sommes d’accord, si nous nous entendons avec notre adversaire, une fois au terme de la route, nous ne redouterons ni le juge, ni l’exécuteur, ni le cachot.
4. Mais quand arrive-t-on au terme ? Tous n’arrivent pas à la même heure ; chacun a la sienne pour y parvenir. Le chemin est cette vie, avons-nous dit ; et le terme du chemin est la fin de la vie. Ainsi nous marchons, et vivre, c’est avancer. Vous imagineriez-vous au contraire que le temps avance et que nous sommes immobiles ? C’est chose impossible. Si le temps avance nous avançons aussi, et au lieu de croître nos années décroissent. Comme on se trompe en disant : Cet entant n’est pas encore suffisamment sage, la prudence lui viendra à mesure que lui viendront les années. Quoi ! à mesure que lui viendront les années ? Mais au lieu de venir elles s’en vont. Ce qu’il est bien facile de prouver. Supposons par exemple que nous connaissions combien d’années doit vivre cet enfant, à dater de sa naissance : admettons eh sa faveur qu’il vivra quatre-vingts ans, qu’il parviendra à cette vieillesse. Retiens quatre-vingts ans. Il a un an. Combien avais-tu ? combien devait-il vivre en tout ? Quatre-vingts. Retranchez donc une année. S’il a vécu dix ans, il ne lui en reste que soixante-dix. S’il en a vécu vingt, soixante. Ainsi donc en avançant, nos années ne font que s’en aller ; non, elles ne marchent que pour s’en aller. Elles ne viennent pas pour s’arrêter en flous ; elles passent en nous pour nous user et amoindrir de plus en plus nos forces. Tel est donc le chemin où nous marchons.
Et qu’avons-nous à faire avec cet adversaire mystérieux, avec la parole de Dieu ? Accorde-toi avec lui car tu ignores à quel moment tu seras au terme de ta course, et à ce terme on rencontre et le juge et l’exécuteur et la prison. Mais si ta volonté se maintient bonne et conforme à celle de ton adversaire ; au lieu d’un juge tu trouveras un père, au lieu de l’exécuteur sans entrailles, un ange qui te portera dans le sein d’Abraham, et le paradis pour prison. Quel merveilleux changement pour t’être entendu le long du chemin avec ton adversaire !

  1. Exo. 20, 13, etc