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le bien ; en d’autres termes, tenir nos lampes allumées ; car le Seigneur lui-même dit expressément dans un autre endroit de l’Évangile « Quand on allume un flambeau, on ne le met pas sous un boisseau, mais sur un chandelier, afin qu’il éclaire tous ceux qui sont dans la maison. » Et pour faire comprendre sa pensée, il ajoute : « Que votre lumière luise devant les hommes, de façon qu’ils voient vos bonnes œuvres et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux [1]. »
2. C’est dans ce sens qu’il nous commande d’avoir les reins ceints et les flambeaux allumés. Que signifient les reins ceints ? « Évite le mal. » Que signifie luire, avoir des flambeaux allumés ? Cela veut dire : « Et fais le bien. » Comment entendre aussi ce qu’ajoute le Sauveur : « Et soyez semblables à des hommes qui attendent que leur Maître revienne des noces ? » N’est-ce pas le même sens que dans les paroles suivantes du même psaume : « Cherche la paix et poursuis-la ? » Ces trois idées, s’abstenir du mal, faire le bien et espérer l’éternelle récompense, sont rappelées dans ce passage des Actes des Apôtres où il est écrit que Paul enseignait « la continence, la justice et l’espoir de l’éternelle vie[2]. » La continence est dans ces mots : « Ayez les reins ceints ; » la justice dans ceux-ci « Et les lampes allumées ; » l’attente du Seigneur se confond avec l’espoir de la vie éternelle. Ainsi donc s’abstenir du mal, c’est pratiquer la continence et avoir les reins toujours ceints ; faire le bien, c’est accomplir la justice et tenir ses lampes allumées ; chercher la paix et la poursuivre, c’est attendre le siècle à venir, c’est être semblable aux hommes qui attendent que leur Maître revienne des noces.
3. Comment donc, après avoir reçu de tels avertissements et de telles promesses, cherchons-nous encore sur la terre ces jours heureux que nous ne saurions y trouver ? Car, je le sais, vous les cherchez, soit quand vous êtes malades, soit quand vous êtes sous le poids des afflictions qui sont si multipliées en ce monde. Quand l’âge est sur son déclin, ne voit-on pas le vieillard privé de toute jouissance et rempli de chagrins ? Il est vrai, pourtant au milieu des souffrances qui accablent l’humanité, les hommes ne demandent que des jours heureux ; ils cherchent constamment, sans pouvoir y parvenir, à allonger leur vie. Qu’est-ce en effet que la vie la plus longue, comparée à l’étendue des siècles ? N’est-elle pas aussi petite qu’une goutte d’eau dans l’Océan ? Ah ! qu’est-ce donc que la vie, que la vie, vie même que l’on dit longue ? On l’appelle longue, quoiqu’en face des siècles elle soit si courte, et, comme je l’ai déjà observé, elle est remplie de gémissements jusqu’à la suprême vieillesse. Dans son ensemble même, elle est donc très-peu de chose. Avec quelle ardeur, néanmoins, ne la recherche-t-on pas ? A quelle activité, à quel labeur, à quels soins, à quelle vigilance, à quels travaux ne se dévoue-t-on pas pour vivre ici longtemps et parvenir.à la vieillesse ? Et pourtant qu’est-ce qu’une vie longue, sinon une longue course vers la mort ? Tu étais hier et tu veux être demain ; mais lorsque ce demain sera passé, un jour de moins encore. Quoi ! tu appelles le lever de l’aurore pour approcher du terme où tu ne veux pas aboutir ? Tu donnes une fête à tes amis, tu les entends alors te souhaiter une longue vie et tu souhaites l’accomplissement de leurs vœux. Ainsi tu veux que les années succèdent aux années, et tu ne veux pas que la dernière arrive ? Voilà des désirs contradictoires, c’est vouloir marcher sans vouloir arriver.
4. Mais, comme je l’ai dit encore, si l’on est si empressé de se consacrer chaque jour à de rudes et continuels travaux pour mourir un peu plus tard, avec quelle sollicitude ne devrait-on pas travailler à ne mourir jamais ? Personne toutefois n’y veut songer. On cherche ici, sans relâche, des jours heureux qu’on n’y trouve pas ; et l’on ne veut pas vivre de façon à parvenir au lieu où on les trouve ! L’Écriture a donc raison de s’écrier : « Quel « est l’homme qui veut vivre et qui aime à avoir des jours heureux ? » Elle sait en adressant cette question, ce qui y sera répondu ; elle sait que tous les hommes cherchent à vivre et à vivre heureux. Elle leur demande donc ce qu’ils désirent, elle entend en quelque sorte tous les cœurs lui répondre : C’est moi ; et c’est dans ce dessein qu’elle s’écrie : « Quel est l’homme qui veut vivre et qui aime à avoir des jours heureux ? » C’est ainsi que dans ce moment même où je vous parle, où vous m’entendez répéter : « Quel est l’homme qui veut vivre et qui aime à voir des jours heureux ? » vous me répondez tous dans votre cœur : C’est moi. Moi qui vous parle, j’aime aussi la vie et des jours heureux ; ce que vous cherchez, je le cherche comme vous.
5. Si nous avions tous besoin d’or, si je voulais

  1. Mat. 5, 16-18
  2. Act. 24, 26