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vous de toute avarice. » Je vais assigner à ces mots : « Toute avarice », un sens encore plus étendu. Le voluptueux est avare, quand une seule épouse ne lui suffit pas. L’idolâtre même est avare, avare au regard de la divinité, puisqu’il ne se contente pas du Dieu unique et véritable. Mais s’il faut être avare pour se faire plusieurs dieux, ne faut-il pas l’être aussi pour se faire de faux martyrs ? « Gardez-vous de toute avarice. » Tu aimes ce qui est à toi et tu te vantes de ne chercher pas le bien d’autrui : vois combien tu fais mal en n’écoutant pas cet avertissement du Christ : « Gardez-vous de toute avarice. » Tu aimes ce qui est à toi et tu ne prends point le bien d’autrui : ce que tu possèdes est le fruit de ton travail, tu ne blesses pas la justice ; tu as recueilli un héritage, une donation faite par quelqu’un que tu as su gagner ; ou bien encore, tu as traversé les mers, tu t’es exposé à la mort, tu n’as trompé personne, tu n’as point prêté serment au mensonge, tu n’as acquis que ce qu’il a plu à Dieu ; et parce que tes richesses n’ont pas une origine d’iniquité et que tu n’ambitionnes pas ce qui appartient à autrui, ta conscience ne te reproche pas la passion avec laquelle tu les conserves. Mais si tu es sourd à cette recommandation divine : « Gardez-vous de toute avarice », écoutez à combien de crimes vont t’exposer les richesses. Tu as obtenu, par exemple, une charge de juge. Tu ne te laisses pas corrompre puisque tu ne cherches pas le bien d’autrui, et pour te porter à condamner son adversaire, nul ne te fait de présent. Non, et qui pourrait t’y déterminer, puisque tu renonces complètement à ce qui ne t’appartient pas ? Considère néanmoins à quelle iniquité t’expose ton attachement à ce que tu possèdes. Cet homme qui te demande une sentence injuste contre son adversaire, est peut-être un puissant du siècle qui peut te traduire lui-même et te faire perdre ta fortune. D’un côté tu songes à sa puissance, tu y réfléchis avec attention ; et tu vois d’un ##Rem autre côté ces biens que tu conserves, que tu aimes et auxquels tu t’es malheureusement lié, plutôt que d’en rester le maître. Tu songes donc à cette glu qui ne permet plus de se déployer aux ailes de la vertu et tu te dis en toi-même : Si, je fiche cet homme, comme il est aujourd’hui puissant, il sèmera sur mon compte des accusations funestes, on me proscrira et je perdrai tout ce que je possède. – Ainsi tu porteras une sentence injuste, non pour t’approprier le bien d’autrui, mais pour conserver le tien.
9. Supposons maintenant un homme qui ait entendu et entendu avec crainte cet avertissement du Christ : « Gardez-vous de toute avarice. » Que cet homme ne me dise pas : Je suis pauvre, je suis un homme du peuple, du commun, confondu dans la foule ; comment pourrais-je espérer de devenir juge ? je n’ai pas à redouter la tentation dont vous venez d’exposer les dangers ; car je vais faire connaître, à ce pauvre aussi, ce qu’il a à redouter. Le voici. Un riche, un puissant du monde t’invite à déposer en sa faveur un faux témoignage. Que feras-tu ? Dis-le-moi. Tu as une honnête épargne c’est le fruit de ton travail et de tes économies. Mais ce puissant te presse : Fais pour moi, dit-il, ce faux témoignage, et je te donne tant, et tant encore. – Toi qui ne cherches pas ce qui est à d’autres : Dieu m’en garde, réponds-tu ; je ne demande pas, je n’accepte pas ce qu’il n’a pas plu à Dieu de me donner ; laisse-moi en paix. – Tu ne veux pas de ce que je t’offre ? Je vais te dépouiller de ce que tu as. — C’est maintenant qu’il faut t’examiner, te sonder. Pourquoi me regarder ? Regarde au dedans de toi, regarde, examine avec attention. Assieds-toi en face de toi-même, établis-toi en face de toi, étends-toi en quelque sorte sur le chevalet divin, sur les divins commandements, applique-toi, sans te flatter, la torture de la crainte, et réponds-toi. Oui, si on te menaçait ainsi, que ferais-tu ? – Je t’enlève ce qui t’a demandé tant de travail, si tu ne fais pour moi un faux témoignage. – Ah ! considère Celui qui a dit. « Gardez-vous de toute avarice. » O mon serviteur, te répondra-il, toi que j’ai racheté et affranchi, toi que j’ai fait mon frère, d’esclave que tu étais, et que j’ai placé comme un membre dans mon corps sacré, écoute-moi : Que cet homme te dépouille de ce que tu as gagné, Il ne pourra te dépouiller de moi. C’est pour éviter la mort que tu conserves ton bien. Ne t’ai-je pas dit : « Gardez-vous de toute avarice ? »
10. Mais tu te troubles, tu t’agites ; ton cœur est comme un navire battu par la tempête. Le Christ y est endormi ; réveille-le et tu ne seras point victime de cet affreux danger. Réveille-le ; il n’a rien voulu posséder ici-bas et il s’est donné à toi tout entier ; pour toi il est allé jusqu’au gibet, et pendant que tout nu il était suspendu à la croix, on l’insultait et on comptait ses os ; ainsi garde-toi de toute avarice.