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C’est en effet le sens qui me parait vrai et c’est comme si nous lisions : Permettez que je porte cette nouvelle à mes parents, dans la crainte qu’ils ne s’occupent de me chercher comme il arrive en pareil cas. « Quiconque ayant mis la main à la charrue, regarde derrière, reprit alors le Seigneur, n’est pas propre au royaume des cieux. » On t’appelle à l’Orient, et tu te tournes vers l’Occident ? Tout ce passage nous apprend que le Seigneur fait ses choix comme il lui plaît. Or, il choisit, dit l’Apôtre, en consultant sa grâce et en consultant la justice de ceux dont il fait choix. Voici en effet les paroles de Saint Paul. « Remarquez ; dit-il, le langage d’Élie : Seigneur, ils ont tué vos prophètes, démoli vos autels, et moi, je suis resté seul et ils en veulent à ma vie. Mais que lui dit la réponse divine ? Je me suis réservé sept mille hommes, qui n’ont point fléchi le genou devant Baal. » Tu te crois seul de bon serviteur ; il y en a aussi d’autres qui me craignent, et ils ne sont pas en petit nombre, puisque j’en ai jusqu’à sept mille. – L’Apôtre poursuit : « Ainsi en est-il encore aujourd’hui. » Alors en effet plusieurs Juifs étaient arrivés à la foi, bien qu’un plus grand nombre eussent été repoussés, comme le fut cet autre qui avait dans son âme des tanières de renards. « Ainsi donc en est-il encore aujourd’hui, un reste a été sauvé suivant l’élection de la grâce ; » en d’autres termes : nous avons aujourd’hui le même Christ qu’on avait alors et qui disait à Élie : « Je me suis réservé. » — « Je me suis réservé », c’est-à-dire j’ai choisi ces sept mille, parce qu’ils s’appuyaient sur moi, et non sur eux ni sur Baal. Ils ne sont pas corrompus ; je les vois encore tels que je les ai formés. Et toi, qui te plains, où serais-tu, si tu ne te confiais en moi ? Si tu n’étais rempli de ma grâce, ne fléchirais-tu pas aussi le genou devant Baal ? Tu es donc rempli de ma grâce, parce que de ma grâce tu attends tout, et rien de ta vertu. Ainsi garde-toi de croire orgueilleusement que tu es seul à mon service, J’ai d’autres serviteurs et je les ai choisis, comme toi, parce qu’ils ne comptent que sur moi. Tel est le sens de ces paroles apostoliques : «Maintenant aussi un reste a été sauvé selon le choix de la grâce. »
4. Prends-garde, ô chrétien, prends-garde à l’orgueil. Fusses-tu l’imitateur des saints, toujours attribue tout à la grâce ; car c’est la grâce de Dieu et non tes mérites, qui a laissé en toi quelque chose de bon. Aussi le prophète Isaïe avait dit de ces restes, en évoquant ses souvenirs : « Si le Seigneur des armées ne nous avait conservé un rejeton, nous serions devenus comme « Sodome, et semblables à Gomorrhe[1]. » – « Ainsi donc en est-il encore aujourd’hui, dit « l’Apôtre, un reste a été sauvé selon le choix « de la grâce. Mais si c’est par grâce, conclut-il, ce n’est point à cause des œuvres », et tu ne dois pas t’enfler de ton mérite ; autrement la grâce n’est plus grâce[2]. » Si en effet tu as confiance en tes œuvres, c’est une récompense qu’on t’accorde et non une grâce qu’on te fait ; et si c’est une grâce, elle est nécessairement gratuite.O pécheur, crois-tu au Christ ? – J’y crois, réponds-tu. – Tu crois aussi qu’il peut te remettre tous tes péchés ? Tu possèdes ce que tu crois. O grâce vraiment gratuite ! Et toi, juste, tu crois que sans Dieu tu ne peux observer la justice ? À sa bonté donc rends grâces de tout ce que tu possèdes de vertu, et à ta malice attribue tous tes péchés. Accuse-toi, et il te pardonnera ; car tous nos crimes, tous nos péchés sont l’œuvre de notre négligence ; comme toute notre vertu, toute notre sainteté vient de la miséricorde divine. Tournons-nous vers le Seigneur, etc.

  1. Isa. 1, 9 ; Rom. 11, 29
  2. Rom. 9, 2-6