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anéanti. Comment s’est-il anéanti ? En s’unissant à ce qu’il n’était pas, sans se séparer de ce qu’il était. Il s’est donc anéanti, il s’est humilié. Tout Dieu qu’il était, il s’est montré homme. Lui, le créateur du ciel, a été méprisé en voyageant sur la terre ; il a été méprisé comme un homme, comme un homme sans valeur presque aucune. Et non-seulement il a été méprisé, il a été, de plus, mis à mort. Il était comme une pierre tombée ; les Juifs s’y sont heurtés et s’y sont brisés. N’avait-il pas dit en personne ? « Celui qui se heurtera contre cette pierre sera brisé, et celui sur qui elle tombera sera broyé[1] ? » Elle a commencé par rester à terre, et ils se sont heurtés, brisés ; elle tombera ensuite du haut du ciel, et ils seront broyés.

3. Vous comprenez donc que Jésus est à la fois le fils et le Seigneur de David ; le Seigneur de David, de toute éternité ; le Fils de David, dans le temps ; comme Seigneur de David, il est né de la substance du Père, et comme fils de David, il est né de la vierge Marie, après avoir été conçu du Saint-Esprit. Tenons à cette double nature. L’une nous servira de demeure durant l’éternité ; et l’autre sera notre délivrance durant le pèlerinage. Si en effet Jésus-Christ Notre-Seigneur ne s’était fait homme, c’en était fait de l’homme. Pour ne pas laisser périr son œuvre, il est donc devenu ce qu’il avait fait. Il est en même temps vrai Dieu et vrai homme ; la divinité et l’humanité sont toute sa personne. Telle est la foi catholique. Nier la divinité, c’est être Photinien ; son humanité, c’est être Manichéen. Pour être catholique, il faut confesser que le Christ est Dieu, égal à son Père, et qu’il est en même temps homme véritable, qu’il a souffert réellement et qu’il a répandu un sang réel. Ah ! la Vérité même ne nous aurait point rachetés en donnant pour nous une fausse rançon. Il faut donc, pour être catholique, confesser ces deux natures.

Mais alors on a une patrie et on est dans la voie qui y mène. On a une patrie, car « Au commencement était le Verbe ; » on a une patrie, car « Étant de la nature de Dieu, il n’a pas cru usurper en se faisant égal à Dieu. » On est dans la voie, car « Le Verbe s’est fait chair ; » on est dans la voie, car « Il s’est anéanti lui-même en prenant une nature d’esclave. » Il est ainsi et la patrie où nous aspirons et la voie qui nous y mène. Avec lui donc allons à lui et nous ne nous égarerons pas.





SERMON XCIII.


LES DIX VIERGES OU LA PURETÉ D’INTENTION[2].




ANALYSE. – La parabole des dix vierges ne saurait s’entendre à la lettre des vierges proprement dites ou des religieuses, mais de toute âme chrétienne qui s’abstient du péché et qui s’adonne aux bonnes œuvres figurées par les lampes que toutes ces vierges ont à la main. Quelques-unes seulement ont eu soin de remplir d’huile leurs lampes : cette huile désigne la charité proprement dite ou la pureté d’intention qui les anime dans leurs bonnes œuvres, tandis que les vierges folles pratiquent le bien dans des vues humaines, par amour des louanges. Toutes s’endorment du sommeil de la mort ; mais quand il faut paraître devant Dieu, c’en est fait des louanges humaines, l’huile manque, la lampe s’éteint, la vierge folle est réprouvée. En vain elle implore la compassion des vierges sages. Celles-ci ne peuvent rien pour leurs malheureuses compagnes ; elles ont assez de leurs propres affaires. Ayons donc soin d’agir par un motif de charité véritable et n’attendons pas le réveil de la mort pour nous convertir : ce serait trop tard.

1. À vous qui étiez hier ici nous avons fait une promesse, et nous voulons, avec l’aide du Seigneur, nous acquitter aujourd’hui devant vous et devant toute cette multitude réunie.

Il n’est pas facile de découvrir quelles sont ces dix vierges parmi lesquelles il y en a cinq de folles et cinq de sages. En m’en tenant, toutefois, au texte qu’aujourd’hui encore je vous ai fait lire et autant qu’il plaît à Dieu de m’ouvrir l’intelligence, je ne crois pas que cette parabole ou similitude concerne exclusivement les vierges qui sont proprement et éminemment consacrées à Dieu dans l’Église et que plus habituellement nous nommons les religieuses ; cette parabole, si je ne me trompe, regarde l’Église tout entière. D’ailleurs, en l’appliquant uniquement aux religieuses, pourrions-nous dire qu’elles ne sont que dix ? Comment réduire à un si petit nombre une telle quantité de vierges ? Dira-t-on que nombreuses

  1. Mat. 21, 44
  2. Mat. 25, 1-49