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être nommé un Ange, peut-il être nommé des Anges ? L’Apôtre Paul dit aussi que la race d’Abraham a été servie, « administrée par les Anges et par l’entremise d’un médiateur[1]. »
7. Lors donc que Moïse demandait à l’Ange ou plutôt au Seigneur présent dans l’Ange, quel était son nom : « Je suis l’Être, répondit-il ; c’est l’Être qui m’a envoyé vers vous. » L’Être est le nom de l’immuabilité ; car tout ce qui change cesse d’être ce qu’il était et commence à être ce qu’il n’était pas. L’Être vrai, l’Être pur, l’Être réel ne peut appartenir qu’à celui qui ne change pas. Il possède cet Être, Celui à qui l’on dit : « Tu les changeras et ils seront changés, pour toi tu demeureras toujours le même[2]. » Que signifie « je suis l’Être, » si non je suis éternel ? Que signifie je suis l’Être sinon je ne puis changer ? Il n’est donc aucune créature ; il n’est ni le ciel, ni la terre, ni un Ange ; ni une Vertu, ni un Trône, ni une Domination, ni une Puissance. Son nom étant un nom d’éternité, qui ne serait attendri qu’il ait daigné prendre un nom de miséricorde ?« Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, et le Dieu de Jacob. » Il prend le premier nom par rapport à lui-même et celui-ci à cause de nous. Eh ! que serions-nous, s’il avait voulu demeurer uniquement ce qu’il est en lui-même ? Si Moïse comprit, ou plutôt puisque Moïse comprit ces mots : « Je suis l’Être ; c’est l’Être qui m’a envoyé avec vous, » il reconnut que les derniers rapprochaient beaucoup Dieu des hommes et que les premiers l’en éloignaient beaucoup. Comprendre dignement, comprendre à la lumière de l’essence véritable, ne fut-ce que sommairement et sous une inspiration rapide comme l’éclair, ce que c’est que l’Être proprement dit, c’est se voir bien au-dessous, bien éloigné et bien différent de lui. Tel fut celui qui s’écriait : « J’ai dit dans mon extase. » Dans un transport d’esprit il vit je ne sais quoi de bien élevé au-dessus de lui. C’était l’Être véritable. « J’ai dit, s’écrie-t-il ; dans mon extase. » Qu’as-tu dit ? « Je suis jeté loin de tes yeux [3]. » Moïse aussi se sentit bien au-dessous, non de ce qu’il voyait, mais de ce qu’il entendait ; et comme incapable de le saisir. Enflammé alors du désir de voir l’Être même, il disait familièrement à Dieu : « Découvrez-vous à moi vous-même[4]. » Et parce que, trop diffèrent de cette suprême nature, il désespérait en quelque sorte d’y atteindre, Dieu releva son courage (car il le vit pénétré de sa crainte) comme s’il lui eut parlé de la manière suivante : Parce que je t’ai dit : « je suis l’Être, » et encore : « c’est l’Être qui m’a envoyé, » tu as compris qu’est-ce que l’Être et tu as désespéré de pouvoir t’élever jusqu’à lui ; courage donc ! « Je suis le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob ; » je suis ce que je suis, je suis l’Être même, et je suis avec l’Être, mais sans vouloir m’éloigner des hommes. Si nous pouvons de quelque manière chercher le Seigneur, découvrir qu’il est l’Être et qu’il n’est pas loin de chacun de nous, car c’est en lui que nous vivons, que nous nous mouvons et que nous sommes[5], louons avec transport sa nature et chérissons sa miséricorde.

  1. Gal. 3, 19
  2. Ps. 101, 27-28
  3. Ps. 30, 23
  4. Exod. 33, 18
  5. Act. 17, 27