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ce que nous distribuons ne venant pas de nous. Si deux hommes avaient reçu une grâce, l’un après une heure d’attente, et l’autre après douze, lequel des deux aurait reçu le premier ? Chacun répondrait que celui qui l’a reçue après une heure seulement, l’a reçue avant celui à qui elle n’a été octroyée qu’après douze heures. Ainsi donc, quoique tous aient été récompensés au même moment, si les uns l’ont été après une heure et les autres après douze, on peut dire que ceux qui n’ont attendu qu’un instant ont été servis avant les autres. Les premiers justes, tels qu’Abel et Noé, ont été en quelque sorte appelés à la première heure ; mais ils ne parviendront qu’avec nous à la gloire de la résurrection. Les autres justes qui les suivirent, Abraham, Isaac, Jacob et leurs contemporains, ont été appelés à la troisième heure, et ce n’est qu’avec nous encore qu’ils seront heureusement ressuscités. Avec nous seulement aussi ressusciteront, dans la félicité, d’autres justes, Moïse, Aaron et tous les autres qui avec eux ont été invités vers la sixième heure. Au même moment encore ressusciteront glorieusement les saints Prophètes, appelés à la neuvième heure ; et à la fin du monde, tous les Chrétiens, appelés à la onzième heure seulement, jouiront avec eux du même bonheur. Tous le recevront en même temps ; mais voyez combien auront attendu les premiers. Ceux-ci auront attendu beaucoup et nous bien peu ; et tout en recevant à la même heure, ne semblera-t-il point que notre récompense ne souffrant aucun retard, nous la recevrons les premiers ?
6. Sous ce rapport donc nous serons tous égaux, les premiers au niveau des derniers et les derniers au niveau des premiers. Le denier d’ailleurs est la vie éternelle, et l’éternité est égale pour tous. La diversité des mérites établira sans aucun doute une diversité de gloire ; la vie éternelle cependant, considérée en elle-même, ne saurait être inégale pour personne. Il n’y a ni plus ni moins de longueur dans ce qui est également éternel ; ce qui n’a pas de fin n’en a ni pour toi ni pour moi. Mais la chasteté conjugale brillera d’une autre manière que la pureté des vierges, et la récompense des bonnes œuvres paraîtra autrement que la couronne du martyre. La forme sera diverse ; mais en ce qui concerne l’éternelle durée, l’un n’aura pas plus que l’autre ; puisque tous vivent sans fin, quoique chacun avec la gloire qui lui est propre, et cette vie sans fin est le denier de l’éternelle vie. Ainsi donc celui qui l’a reçu plus tard ne doit pas murmurer contre celui qui l’a reçu plutôt. On rend à l’un ce qui lui est dû, on fait un don à l’autre et pour tous deux le don a le même objet.
7. Il y a aussi dans la vie présente quelque chose d’analogue, et sans préjudice à l’interprétation qui nous montre Abel et ses contemporains appelés à la première heure, Abraham et les siens appelés à la troisième, à la sixième Moïse, Aaron et les autres justes de cette époque, à la neuvième les Prophètes et les justes de ce temps, à la onzième, c’est-à-dire à la dernière époque du monde, tous les Chrétiens ; sans préjudice donc à cette interprétation, la même parabole peut s’appliquer aussi à notre vie actuelle. À la première heure paraissent appelés ceux qui deviennent chrétiens au sortir du sein maternel ; les enfants à la troisième ; à la sixième les jeunes gens ; ceux qui ont passé l’âge mûr à la neuvième, et à la onzième seulement les vieillards entièrement épuisés : tous néanmoins recevront le même denier de la vie éternelle.
8. Mais observez et, comprenez, mes frères, que personne ne doit différer de se rendre à la vigne, sous prétexte qu’à quelque moment qu’il y vienne, il est sûr de recevoir ce denier mystérieux. Il est sûr que ce denier lui est offert ; mais lui ordonne-t-on d’ajourner ? Quand le Père de famille sortait pour chercher des ouvriers, est-ce que ceux-ci différèrent ? Ceux qu’il appela à la troisième heure, par exemple, lui répondirent-ils : Attendez, nous n’irons qu’à la sixième ? Ceux qu’il trouva à la sixième lui dirent-ils : Nous irons à la neuvième? Et ceux de la neuvième reprirent-ils : A la onzième seulement nous irons ? Puisqu’il doit donner à tous le même denier, pourquoi nous fatiguer plus longtemps. Dieu a déterminé dans son conseil, ce qu’il doit donner et ce qu’il doit faire ; pour toi, viens quand il t’appelle. Oui, la même récompense est assurée à tous ; mais le moment de se rendre au travail est singulièrement décisif. Faisons une supposition. On appelle à la sixième heure ces jeunes gens dont l’ardeur est aussi bouillante que la chaleur au milieu du jour ; s’ils répondaient : Attendez ; l’Évangile nous apprend que tous nous recevrons une même récompense, nous irons donc à la onzième heure, quand nous serons parvenus à la vieillesse ; pourquoi tant travailler,