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leur réclamer, il envoya vers ceux ses serviteurs. Les vignerons les outragèrent, en tirèrent même quelques-uns et dédaignèrent de payer. Il en envoya d’autres : mêmes traitements. Ce père de famille qui avait cultivé le champ, planté et loué sa vigne, se dit alors« Je leur enverrai mon Fils unique ; peut-être au moins le respecteront-ils. Et il leur envoya son Fils en personne. Voici l’héritier, dirent-ils en eux-mêmes, venez, mettons-le à mort, et son héritage sera pour nous. » Effectivement ils le mixent à mort, et le jettent hors de la vigne. Que fera, en venant, le Manne de la vigne à ces mauvais vignerons ? On répondit à cette question : « Il fera mourir misérablement ces misérables et louera sa vigne à d’autres vignerons en recevoir le fruit eu son temps.[1] » Cette vigne fut plantée lorsque la loi fut gravée dans le cœur des Juifs. Dieu ensuite envoya les Prophètes pour en recueillir tes fruits, pour exiger la sainteté ; les Prophètes furent couverts d’outrages et mis à mort. Le Fils unique du Père de famille, le Christ vint ensuite ; c’est l’héritier qu’ils ont tué. Aussi ont-ils perdu son héritage ; leur dessein criminel a tourné contre eux-mêmes. Ils ont tué l’héritier pour accueillir sa succession et pour l’avoir tué ils ont tout perdu.
4. Tout à l’heure encore vous avez entendu dans le saint Évangile cette autre parabole. « Il en est du royaume des cieux comme d’un père de famille qui sortit afin de louer des ouvriers pour sa vigne. » Il sortit le matin, prit ceux qu’il trouva et convint avec eux du salaire d’un denier. Il sortit encore à la troisième heure et il en trouva d’autres qu’il conduisit travailler à sa vigne. À la sixième et à la neuvième heure il en fit autant. Il sortit enfin à la onzième heure, presque au déclin du jour, il rencontra quelques hommes debout dans l’oisiveté. Pourquoi restez-vous ici ? leur dit-il ; pourquoi ne travaillez-vous pas à la vigne ? Parce que personne ne nous a loués, répondirent-ils. Vous aussi, venez, ajouta le Père de famille, et je vous donnerai ce qui conviendra. Il s’agissait d’un denier pour salaire. Mais comment ces derniers, qui ne devaient travailler qu’une heure, auraient-ils osé l'espérer ? Ils étaient heureux néanmoins de compter encore sur quelque chose ; et pour une heure on les mena au travail. Le soir venu, le Père de famille ordonna de payer tout le monde, des derniers aux premiers. Il commença donc par ceux qui étaient venus à la dernière heure, et il leur fit donner un denier. En les voyant recevoir et denier, dont on avait convenu avec eux, les premiers arrivés comptèrent sur davantage ; en arriva enfin à eux, et ils reçurent un denier. Ils murmurèrent alors contre le Père de famille. Nous avons, dirent-ils, porté le poids du jour et de la chaleur brûlante, et vous ne nous traitez que comme ceux qui ont travaillé une bure seulement dans votre vigne ? Le Père de famille, s’adressant à l’un d’eux, lui fit cette réponse pleine de justice : Mon ami, dit-il, je ne viole pas ton droit, c’est-à-dire je ne te trompe pas : je te donne ce qui est convenu. Je ne te trompe pas, puisque je suis fidèle à mon engagement. Je n’ai pas dessein de payer celui-ci, mais de lui donner. Ne puis-je faire de mon bien ce que je veux ? Ton œil est-il jaloux, parce que je suis bon ? Si je prenais à quelqu’un ce qui ne m’appartient pas, je serais avec raison traité de voleur et d’homme injuste ; je mériterais également d’être accusé de friponnerie et d’infidélité si je ne payais pas ce que je dois. Mais quand j’acquitte mes dettes et que de plus je donne à qui il me plaît, celui que je paie ne saurait me reprocher rien, et celui à qui je donne doit ressentir une joie plus vite. – Il n’y avait, rien à répliquer. Tous ainsi furent égaux ; des derniers devinrent les premiers et les premiers les derniers, c’est-à-dire qu’il y eut égalité et non primauté. Que signifie en effet : Les premiers furent les derniers et les derniers les premiers ? Qu’ils reçurent autant les uns que tes autres.
5. Pourquoi, alors, commença-t-on par payer les derniers ? N’avons-nous pas lu que la récompense sera donnée à tous en même temps ? Car d’après un autre passage de l’Évangile que nous avons lu aussi, le Sauveur dira à tous ceux qui seront placés à sa droite : « Venez, les bénis de mon Père, recevez le Royaume qui vous a été préparé dès l’origine du monde[2]. » Si donc tous les élus le doivent recevoir en même temps, comment expliquer que les ouvriers de la onzième heure ont été récompensés avant ceux de la première ? Vous rendrez grâces à Dieu si je parviens à m’exprimer de manière à vous le faire bien saisir. C’est à lui en effet que vous devez rendre grâces, puisque c’est lui qui vous donne par votre ministère,

  1. Mat. 21, 33-41
  2. Mat. 25, 34