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Pourquoi donc naître, ô esclave de l’avarice ? – Mes enfants, continue cet avare, auront mon bien. – C’est douteux. Je ne dis pas qu’il est faux, je dis qu’il est incertain qu’ils le possèdent. Mais supposons que la chose soit certaine ; que veux-tu leur laisser ? Ce que tu as gagné. Si tu l’as gagné, donc on ne te l’avait pas laissé et pourtant tu le possèdes. Or si tu as pu te procurer ce qu’on ne t’avait pas laissé, ne pourront-ils pas à leur tour posséder ce que tu ne leur laisseras point ?
10. Ainsi sont réfutés les conseils de l’avarice. Que le Seigneur, maintenant, nous les donne ; que la justice prenne la parole ; elle s’exprimera comme l’avarice, sans néanmoins dire la même chose. Garde pour toi, dit le Seigneur ton Dieu, pourvois à l’avenir. – Demande-lui aussi : Mais où pourrai-je garder ? « Tu auras, dit-il, un trésor dans le ciel », où n’entrera pas le voleur, où les vers ne rongent pas. – À quel avenir pourvoiras-tu ? « Venez les bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès l’origine du monde. » Et combien durera ce royaume ? C’est ce que montre la conclusion même du jugement. En parlant de ceux qui seront à sa gauche, le Sauveur disait : « C’est ainsi qu’ils iront aux flammes éternelles ; » et de ceux qui seront à sa droite : « Mais les justes dans l’éternelle vie [1]. » Voilà qui est pourvoir à l’avenir ; voilà un avenir qui n’en attend point d’autre ; voilà des jours sans fin. On les nomme à la fois des jours et un jour. « Pour habiter dans la maison du Seigneur, disait quelqu’un, pendant toute la durée des jours[2] », et il parlait des jours éternels. On les appelle aussi un jour. « Je vous ai engendré aujourd’hui[3]. » Si ces jours sont appelés un jour, c’est qu’il n’y a plus de temps, c’est que ce jour n’est point précédé d’un hier et suivi d’un lendemain. Ainsi donc pourvoyons à cet avenir, et tout en rencontrant ici les mêmes paroles que t’adressait l’avarice, nous aurons vaincu l’avarice.
11. Tu pourrais dire encore : Et que ferai-je de mes enfants ? Sur ce point donc écoute aussi le conseil de ton bon Maître. S’il te disait : Moi qui les ai créés, je m’en occupe mieux que toi, qui les as engendrés seulement, peut-être n’aurais-tu rien à répondre. Mais tu penserais à ce riche qui se retira avec tristesse et qui est blâmé dans l’Évangile ; tu ajouterais peut-être en toi-même : S’il a mal fait de ne pas tout vendre pour le donner aux pauvres, c’est qu’il n’avait pas d’enfants ; pour moi j’en ai, je dois garder pour eux. À cette faiblesse encore, te voici arrêté par ton Seigneur.J'oserai donc le dire par sa grâce, oui j’oserai le dire non pas en m’appuyant sur moi, mais sur sa miséricorde : Garde aussi pour tes enfants, mais écoute-moi. Je suppose que, comme il nous arrive trop souvent, un homme ait perdu quelqu’un de ses enfants. Remarquez, mes frères, remarquez combien l’avarice est inexcusable, soit dans ce siècle soit dans le siècle futur. Voici donc ce qui peut se produire ; ce n’est pas un vœu que nous formons, mais une supposition souvent réalisée. Un chrétien est mort père, tu as perdu un enfant chrétien ; que dis-je ? non tu ne l’as point perdu, tu l’as envoyé devant toi, car il n’a pas rompu avec toi, mais il te précède. Demande-le à ta foi : tu le suivras sûrement là où il est parvenu. Or, voici en peu de mots une pensée à laquelle nul, je crois, ne saurait répondre. Ton fils est-il vivant ? Qu’en pense ta foi ? Mais s’il est vivant, pourquoi son héritage est-il envahi par ses frères ? – Quoi ! répliqueras-tu, doit-il revenir et en prendre de nouveau possession ? – Qu’on lui envoie donc sa part où il est : il ne saurait venir la chercher, mais elle peut aller à lui. Considère de plus avec qui il est. Si ton fils servait au palais, s’il devenait l’ami de l’Empereur et qu’il te dit : Vends ma portion et envoie-la-moi ; trouverais-tu aucune objection à faire ? Ton fils est maintenant avec l’Empereur de tous les Empereurs, avec le Roi de tous les Rois et avec le Seigneur de tous les Seigneurs : envoie-lui sa part. Je ne dis pas ! qu’il en ait besoin lui-même, je dis que son Seigneur, que Celui près de qui il se trouve, en a besoin sur la terre. Il veut recevoir ici ce qu’il rend au ciel. Fais donc comme certains avares, fait passer ton argent ; donne-le à des voyageurs pour le recevoir dans ton pays.
12. Assez sur toi, parlons de ton fils. Tu hésites quand il faut donner ton bien ; tu hésites aussi quand il faut rendre le bien d’autrui : preuve certaine que tu ne gardais pas pour tes enfants. Évidemment tu ne leur donnes pas, puisque tu leur ôtes : n’ôtes-tu pas à celui qui est mort ? Serait-il indigne de recevoir, depuis qu’il vit avec le plus digne Souverain ? Je te comprendrais si comblé de tes biens et de ses biens célestes, ce Souverain ne voulait rien recevoir.

  1. Mat. 25, 34,46
  2. Psa. 22, 6
  3. Psa. 2, 7