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grand, lorsque tu partages ton pain avec le pauvre ! Est-ce la millième partie de ce que tu possèdes ? Je ne t’en blâme pourtant pas ; fais au moins cela. J’ai si faim, j’ai si soif, que je serais heureux de recueillir ces miettes. Que dit néanmoins ce Dieu vivant qui est mort pour nous ? Je ne le tairai pas. « Si votre justice n’est plus abondante que celle des Scribes et des Pharisiens, vous n’entrerez point dans le royaume des cieux[1]. » Ce n’est pas là nous endormir ; c’est un médecin qui va jusqu’au vif. « Si votre justice n’est plus abondante que celle de Scribes et des Pharisiens, vous n’entrerez point dans le royaume des cieux. » Les Scribes et les Pharisiens donnaient le dixième. Et puis ? Examinez-vous ; voyez ce que vous faites, et ce que vous avez ; ce que vous donnez et ce que vous vous réservez ; ce que vous répandez en charités et ce que vous consacrez au luxe. Ainsi, « qu’on donne de bon cœur, qu’on partage, qu’on se fasse un trésor qui soit un bon fondement pour l’avenir, afin d’acquérir la vie éternelle. »
6. J’ai parlé aux riches ; maintenant, pauvres, écoutez. Vous, donnez ; et vous, gardez-vous de ravir. Vous, donnez de vos biens ; et vous, mettez un frein à vos passions. Écoutez donc, pauvres, le même Apôtre : «C’est un grand gain. » Le gain est un profit. « C’est un grand gain, dit-il, que la piété avec ce qui suffit. » Le monde vous est commun avec les riches ; vous n’avez pas la même maison, mais vous avez le même ciel, une même lumière. Cherchez ce qui suffit, cherchez-le, rien davantage. Car le reste est une charge et non un soulagement ; un fardeau, non pas un honneur.« C’est un grand gain que la piété avec ce qui suffit. » La piété avant tout. La piété est le culte de Dieu. « La piété avec ce qui suffit ; car nous « n’avons rien apporté dans ce monde. » Y as-tu apporté quelque chose ? Et vous, riches, qu’y avez-vous apporté ? Vous y avez tout trouvé, et comme les pauvres, vous êtes nés dans la nudité. Vous étiez, comme eux, bien faibles de corps, et comme les leurs vos vagissements témoignaient de vos souffrances. « Car nous n’avons rien apporté dans ce monde ; » ce langage s’adresse à des pauvres ; « et nous n’en saurions emporter rien. Avec la nourriture et le vêtement, contentons-nous. Parce que ceux qui veulent devenir riches » — Ceux qui veulent le devenir, et non pas ceux qui le sont. Laissons ceux-ci, ils savent ce qui les concerne : « qu’ils soient riches en bonnes œuvres, qu’ils donnent de bon cœur, qu’ils partagent. » Voilà ce qui les concerne. Vous qui n’êtes pas riches encore, prêtez l’oreille. « Ceux qui veulent devenir riches tombent dans la tentation et dans des filets, dans des désirs multipliés et funestes. » Vous ne craignez pas ? Écoutez ce qui suit : « Qui plongent les hommes dans la ruine et la perdition. » Et tu ne trembles pas ? « Car la racine de tous les maux est l’avarice. » Or il y a avarice à vouloir être riche, non pas à l’être. En cela consiste l’avarice. Et tu ne crains pas d’être plongé dans la ruine et la perdition ? Tu ne redoutes point la racine de tous les maux ? Tu arraches de ton champ la racine des épines ; et de ton cœur tu n’arraches pas la racine des passions mauvaises ? Tu nettoies ton champ pour nourrir ton corps ; et tu ne purifies pas ton cœur pour y recevoir ton Dieu ? « La racine de tous les maux est l’avarice ; aussi quelques-uns en s’y laissant aller ont dévié de la foi et se sont engagés dans beaucoup de chagrins [2]. »
7. Vous savez maintenant ce que vous avez à faire, vous connaissez ce que vous devez redouter ; vous savez comment on achète le royaume des cieux et vous savez comment on est exclus. Conformez-vous tous à la parole de Dieu. Dieu a fait le riche et le pauvre. « Le riche et le pauvre se sont rencontrés, dit l’Écriture, c’est le Seigneur qui les a faits l’un et l’autre[3]. – Le riche et le pauvre se sont rencontrés. » Où, sinon en celle vie ? Le riche est né, le pauvre est né aussi. Vous vous êtes rencontrés sur la même route. Toi, garde-toi d’opprimer, et toi, de tromper. L’un a besoin, l’autre est dans l’abondance. « Le Seigneur les a faits tous deux. » Par celui qui possède, il aide celui qui a besoin, et par celui qui n’a rien il éprouve celui qui a. Après avoir ainsi entendu ou parlé, craignons et prenons garde, prions et arrivons.

  1. Mat. 5, 20
  2. 1 Ti. 6, 17-19 ; 6-10
  3. Pro. 22, 2