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L'autre serviteur était redevable de cent deniers : c’est encore le nombre dix; car cent fois cent égalent dix mille, et dix fois dix égalent cent. L’un doit dix mille talents, et l’autre dix dizaines de deniers. C’est partout le nombre légal ; et de part et d’autre il exprime les péchés de chacun. Les deux serviteurs sont donc endettés l’un et l’autre ; l’un et l’autre sollicitent, implorent leur grâce. Mais le premier est méchant, il est ingrat ; il est cruel, il refuse de donner ce qu’il a reçu, il s’obstine à ne pas accorder ce qui lui a été octroyé quoiqu’il en fût indigne.
7. Attention, mes frères. Un homme vient de recevoir le baptême, il en sort acquitté, on lui a remis sa dette de dix mille talents ; et il lui arrive de rencontrer son compagnon qui est son débiteur. Mais qu’il prenne garde au péché ! Le nombre onze figure le péché ou la transgression de la loi, comme le nombre dix représente la loi même, composée dix préceptes. Mais pourquoi y a-t-il onze dans le péché ? Parce qu’en outrepassant dix, ou la règle établie par la loi, on arrive à onze, qui symbolise ainsi le péché. Ce profond mystère apparut quand Dieu commanda la construction du tabernacle. Bien des nombres figurent alors, et tous marquent de grandes choses. Faites particulièrement attention aux couvertures de poil de chèvre ; il est ordonné d’en faire, non pas dix, mais onze[1], parce que cette sorte de voile rappelle comme l’aveu des fautes.N'est-ce pas dire assez ? Veux-tu savoir comment tous les péchés sont compris dans ce nombre de septante-sept ? Sept exprime souvent la totalité. Cela vient de ce que le temps roule dans l’espace de sept jours, et que ce nombre écoulé, le temps recommence pour suivre toujours le même cours. Ainsi se passent les siècles, et jamais en dehors de ce nombre de sept. Septante-sept désigne donc tous les péchés, puisque sept fois onze donne septante-sept ; et en employant ce nombre à propos du pardon des fautes, le Christ a voulu qu’on les remît toutes sans exception. Ah ! que personne ne soit donc assez ennemi de lui-même pour les retenir en ne pardonnant pas ; ce serait forcer à ce qu’on ne lui remette pas les siennes, quand il prie. Pardonne, s’écrie le Seigneur, et tu obtiendras ton pardon. Le premier, je t’ai pardonné, pardonne au moins le dernier. Si tu ne pardonnes pas, je te citerai de nouveau et j’exigerai tout ce que je t’ai remis. – La Vérité ne ment pas, mes frères, le Christ ne se trompe ni ne se laisse tromper. Or il a terminé en disant : « C’est ainsi que vous traitera votre Père qui est dans les cieux. » C’est ton Père, imite-le donc. En ne l’imitant pas tu cherches à être déshérité par lui. « Ainsi vous traitera votre Père qui est aux cieux, si chacun de vous ne pardonne à son frère du fond de son cœur.[2] » Ne dis pas du bout des lèvres : Je pardonne, sans le faire dans le cœur à l’instant même. Vois de quel supplice te menace la vengeance divine, Dieu sait avec quelle sincérité tu parles. L’homme entend ta voix, mais le Seigneur lit dans ta conscience. Si donc tu dis : Je pardonne, pardonne réellement. Mieux valent encore des reproches sur les lèvres et le pardon dans le cœur, que des paroles flatteuses et la haine dans l’âme.
8. Mais quel sera maintenant le langage de ces enfants indisciplinés, leur horreur pour la discipline ! Quand nous voudrons les châtier, ne diront-ils pas en se prévalant d’une autorité sainte : J’ai manqué, pardonnez-moi ? – Je pardonne. Mais on manque encore. – Pardonne de nouveau. — Je le fais. On pèche une troisième fois. – Une troisième fois, pardon. — À la quatrième faute, qu’il soit châtié. Ne dira-t-il pas alors : T’ai-je offensé septante-sept fois ? Si cette obligation endort la rigueur de la discipline, où s’arrêteront les désordres désormais sans frein ? Que faut-il donc faire ? Corrigeons par la parole, corrigeons même avec la verge, s’il est nécessaire ; mais pardonnons la faute, rejetons de notre cœur tout ressentiment. Aussi quand le Seigneur disait : « Du fond du cœur », il voulait que si la charité même exigeait le châtiment du coupable, la bienveillance intérieure ne fût jamais altérée. Est-il rien de plus charitable qu’un médecin armé du fer ? A la vue du fer et du feu le malade pleure et se lamente. Le fer et le feu ne lui sont pas moins appliqués. Est-ce de la cruauté ? On ne traite pas ainsi la rigueur du médecin. Elle s’attaque à la plaie pour sauver le malade, car si on épargne l’une on perd l’autre. Voilà, mes frères, ce que je voudrais que nous fissions envers nos frères coupables. Aimons-les de toute manière ; ne perdons jamais de notre cœur la charité que nous leur devons, et châtions-les quand il en est besoin. La discipline ne se relâcherait

  1. Exo. 26, 7
  2. 1Ti. 5, 20