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Qu’est-ce à dire il a péché contre toi ? C’est-à-dire que tu sais qu’il a péché. C’est en secret qu’il a péché contre toi, tu dois l’en reprendre en secret. Puisque seul tu connais son péché contre toi, il est sûr que le reprendre devant tout le monde, ce ne serait pas le corriger, mais le diffamer. Considère avec quelle bonté l’homme juste pardonna le crime énorme dont il soupçonna son épouse avant de savoir comment elle avait conçu. Joseph la voyait enceinte, il savait de plus ne l’avoir pas approchée : Pouvait-il n’être pas sûr d’un adultère ? Mais il était seul à s’apercevoir, à connaître. Aussi, que dit de lui l’Évangile ? « Comme Joseph était un homme juste et ne « voulait pas la diffamer. » Sa douleur d’époux ne chercha point à se venger. Au lieu de punir la coupable, il voulut la servir. Donc, « comme il ne voulait point la diffamer, il eut la pensée de la laisser secrètement. » Mais comme il s’occupait de ce dessein, un, Ange du Seigneur lui apparut en songe ; il lui révéla la vérité et lui apprit que Marie n’avait point violé là foi conjugale, mais qu’elle avait conçu, du Saint-Esprit, le Seigneur même des deux époux[1]. Ton frère donc a péché contre toi ; il n’a vraiment péché que contre toi, si seul tu connais sa faute. Mais s’il t’a manqué devant plusieurs, il a aussi péché contre eux, puisqu’il en a fait les témoins de son iniquité. Je vais en effet, mes très-chers frères, vous faire un aveu que chacun de vous pourrait me faire de son côté. Si devant moi on outrage mon frère, je n’ai garde de me considérer comme étranger à cette injure ; elle me blesse sûrement aussi, elle me blesse même davantage, puisqu’en la faisant on croyait que j’y prendrais plaisir. Qu’on reprenne donc devant tout le monde les fautes commises devant tout le monde, et plus secrètement, les fautes plus secrètes. Distinguez les temps, et l’Écriture s’accorde avec elle-même.
11. Agissons ainsi, car c’est ce que nous devons faire, non-seulement lorsqu’on nous offense, mais encore lorsqu’on pèche en secret. C’est en secret qu’il nous faut alors corriger et reprendre ; nous pourrions, en cherchant à réprimander publiquement, diffamer le coupable. Nous voulons, disons-nous, le corriger, le reprendre : mais si un ennemi cherche à savoir sa faute parle faire alunir ? Ainsi, par exemple, l’évêque connaît l’auteur d’un meurtre, et nul autre que lui ne le connaît. J’entreprends de le censurer publiquement, mais tu veux, toi, le dénoncer à la justice. Je prends donc le parti de ne pas le diffamer et toutefois je ne le laisse pas en repos sur son crime : je le réprimande en particulier, je lui mets sous les yeux le jugement divin, je cherche à effrayer sa conscience coupable, je le porte à faire pénitence. Telle est la charité qui doit nous animer. On nous reproche quelquefois de ne pas flageller le vice : c’est qu’on suppose que nous savons ce que nous ignorons ou que nous ne disons rien de ce que nous savons. Je sais peut-être ce que tu sais, mais je n’en reprends pas devant toi, parce que je veux panser et non pas accuser. Il est des hommes qui commettent l’adultère dans leurs propres demeures, ils pèchent en secret. Il arrive que leurs épouses nous en avertissent ; c’est souvent par jalousie et quelquefois pour le salut de leurs époux. Nous n’avons garde de parler de cela en public, nous en faisons de secrets reproches. Que le mal s’éteigne là où il s’est allumé. Ah ! nous n’oublions pas cette plaie profonde ; nous montrons d’abord au coupable, dont la conscience est si malade, que ce péché est mortel. Car il est hélas ! des hommes si étrangement pervertis, qu’ils ne s’en inquiètent pas après l’avoir commis. Sur quels frivoles et vains témoignages s’appuient-ils pour affirmer que Dieu ne s’occupe pas des péchés charnels ? Ont-ils oublié ce qui nous a été répété aujourd’hui : « Dieu juge les fornicateurs et les adultères ? » Attention ! pauvre malade. Écoute ce que Dieu t’enseigne et non ce que te disent ni ton cœur pour te porter au crime, ni ton ami, ou plutôt ni un homme qui est ton ennemi comme le sien propre et qui est chargé des mêmes chaînes d’iniquité que toi. Écoute donc ce que te dit l’Apôtre : « Que le mariage soit honorable en toutes choses et le lit nuptial sans souillure. Dieu juge les fornicateurs et les adultères. »
12. Allons, mon frère, corrige-toi. Tu crains d’être dénoncé par ton ennemi, et tu ne crains pas d’être jugé par Dieu ? Où est ta foi ? Crains quand il y a lieu de craindre. Le jour du jugement est loin encore ; mais le dernier jour de chacun de nous ne saurait être éloigné, parce que la vie est de courte durée. Et comme cette durée est non-seulement courte, mais toujours incertaine, tu ne sais quand viendra ton dernier jour. Corrige-toi aujourd’hui à cause de l’incertitude

  1. Mat. 1, 19, 20