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ce n’est pas pour se rendre impénétrable, c’est pour nous exercer. Ainsi donc, mes frères, nous devons vous exhorter tous à la prière, et nous avec vous. Au milieu des maux innombrables de Ce, siècle, nous n’avons d’autre espoir que de frapper par la prière, que de croire invariablement que notre Père ne nous refuse que ce qu’il sait ne pas nous convenir. Tu sais bien ce que tu désires, mais lui connaît ce qu’il te faut. Figure-toi que tu es malade et entre les mains d’un médecin, ce qui est incontestable. Notre vie en effet n’est qu’une maladie et une longue vie n’est qu’une maladie longue. Figure-toi donc que tu es malade entre les mains d’un médecin. Tu voudrais boire du vin nouveau, tu voudrais en demander à ce médecin. On ne t’empêche pas d’en demander, car il pourrait se faire qu’il ne te nuisit pas, qu’il te fût même bon d’en prendre. Ne crains donc pas d’en demander, demande sans hésitation ; mais ne t’attriste point si on t’en refuse. Voilà ta confiance à l’homme qui soigne ton corps ; et tu n’en aurais pas infiniment plus envers Dieu, qui est à la fois le médecin, le créateur et le réparateur de ton corps aussi bien que de ton âme ?
3. Le Seigneur dans ce passage nous invite donc à la prière ; car après avoir dit : « C’est à cause de votre incrédulité que vous n’avez pu chasser ce démon ; » il termine ainsi « Cette espèce ne se retire que devant les jeûnes et les prières.» Mais si l’on prie pour chasser un démon étranger, ne le doit-on pas beaucoup plus pour se délivrer de sa propre avarice, pour se guérir de l’ivrognerie, pour renoncer à l’impureté, pour se purifier de toute souillure ? Combien hélas ! de défauts qui excluent du royaume des cieux, si l’on ne s’en dépouille? Considérez, frères, avec quelles instances on demande à un médecin la santé du corps ! Qu’un homme soit atteint d’une maladie mortelle, rougira-t-il, lui en coûtera-t-il de se jeter aux pieds d’un médecin habile, de les arroser de ses larmes ? Et suce médecin lui dit : Impossible de te guérir, à moins de te lier et d’employer sur toi le fer et le feu ? – Fais ce que tu voudras, répond le malade, guéris-moi seulement. – Avec quelle ardeur on désire recouvrer une santé éphémère qui s’évanouit comme la vapeur, puisqu’afin de la réparer on ne craint ni les chaînes, ni le fer, ni le feu et qu’on consent à être surveillé pour ne pas manger, pour ne pas boire ce qui plaît ni quand on le voudrait ! Pour mourir un peu plus tard il n’est rien qu’on ne souffre et on ne veut rien souffrir pour ne mourir jamais ! Si notre céleste Médecin, si Dieu venait à te demander : Veux-tu être guéri ? que lui répondrais-tu, sinon : Je le veux ? Et si tu ne lui faisais pas cette réponse, c’est que tu ne te croirais pas malade, et tu le serais bien davantage.
4. Suppose ici deux malades ; l’un qui supplie son médecin avec larmes, et l’autre qui dans l’excès et l’aveuglement de son mal, se moque de lui : le médecin donne espoir au premier ; il déplore le sort du second. Pourquoi ? C’est que celui-ci est d’autant plus dangereusement attaqué, qu’il ne se croit pas malade. Tels étaient les Juifs. Le Christ est venu visiter des malades et tous les hommes étaient malades. Que personne ne se flatte d’avoir la santé ; qu’il craigne d’être abandonné du médecin. Tous donc étaient malades, c’est un Apôtre qui l’atteste. « Tous ont péché, dit-il, et ont besoin de la gloire de Dieu [1]. » Mais parmi tous ces malades on pouvait distinguer deux catégories. Les uns cherchaient le médecin, s’attachaient au Christ, l’écoutaient, l’honoraient, le suivaient, se convertissaient. Il les recevait tous avec plaisir pour les guérir, et il les guérissait gratuitement, car il les guérissait par sa toute-puissance. Aussi tressaillaient-ils de joie, lorsqu’il les accueillait et se les attachait pour les délivrer de leurs maux. Quant aux autres malades à qui l’iniquité même avait fait perdre la raison et qui ne se croyaient point malades, ils lui reprochèrent avec outrage de recevoir les malheureux et dirent à ses disciples : «Quel Maître avez-vous là ? Il mange avec « les pécheurs et les publicains ! » Et lui, qui savait ce qu’ils valaient et qui ils étaient, leur répondit : « Le médecin n’est pas nécessaire à « qui se porte bien, mais aux malades. » Puis il leur montra qui était en bonne santé et qui était malade. « Je ne suis pas venu, dit-il, appeler les justes, mais les pécheurs[2]. » En d’autres termes : Si les pécheurs n’approchent point de moi, pour quel motif et pour qui suis-je venu ? Si tous se portent bien, était-il nécessaire qu’un tel médecin descendit du ciel ? Pourquoi nous a-t-il fait, non pas des remèdes ordinaires, mais un remède de son sang? Ainsi donc les moins malades ceux qui sentaient leur mal, s’attachaient au Médecin pour obtenir leur guérison ; tandis que ceux dont la

  1. Rom. 3, 23
  2. Mat. 9, 11-13