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11. Voyez combien cette humilité ressort. Le Seigneur l’avait traitée de chienne ; elle ne renie pas ce titre, elle dit : c’est vrai. Et pour cet aveu « O femme ! dit aussitôt le Seigneur, ta foi est grande ! Qu’il te soit fait comme tu as demandé. » Tu reconnais que tu es urne chienne, et moi je déclare que tu es un homme. « O femme ! que ta foi est grande ! » Tu as demandé, tu as cherché, tu as frappé ; reçois, trouve, qu’il te soit ouvert. Remarquez bien, mes frères, comment dans cette femme qui était Chananéenne, c’est-à-dire issue de la gentilité et qui était un type ou une figure de l’Église, ressort surtout l’humilité. Si le peuple juif a été exclu de l’Évangile, c’est qu’il était enflé d’orgueil, pour avoir mérité de recevoir la loi, d’être la souche des patriarches, des prophètes, de Moïse même, ce grand serviteur de. Dieu qui fit en Égypte les prodiges éclatants dont nous parlent les psaumes, qui conduisit le peuple à travers la mer Rouge après en avoir fait retirer les eaux, et qui enfin reçut de Dieu même la loi qu’il donna à sa nation [1]. Voilà de quoi s’enorgueillissait le peuple juif, et ce fut cet orgueil qui l’empêcha de se soumettre au Christ, l’auteur de l’humilité et l’ennemi de la fierté, le médecin divin qui s’est fait homme, tout Dieu qu’i était, afin d’amener l’homme à s’avouer homme. Quel remède ! Ah ! si ce remède ne guérit pas l’orgueil, je ne sais qui pourra y mettre lin terme. Jésus est Dieu et il se fait homme ! Il écarte sa divinité, c’est-à-dire il met de côté, il cache sa propre nature pour montrer sa nature empruntée. Tout Dieu qu’il est il se fait homme, et l’homme ne se reconnaît pas homme, c’est-à-dire ne se reconnaît pas mortel, ne se reconnaît pas fragile, ne se reconnaît pas pécheur, ne se reconnaît pas malade pour recourir au moins comme tel à son médecin, mais ce qui est fort dangereux, il croit jouir de la santé !
12. Voilà donc le motif, motif d’orgueil, pour lequel ce peuple ne s’est point attaché au Sauveur, et pour lequel les rameaux naturels, c’est-à-dire les Juifs que rendait stériles l’esprit d’orgueil, ont été retranchés du tronc de l’olivier ou du peuple des gentils. L’Apôtre enseigne effectivement que l’olivier sauvage a été enté sur l’olivier véritable, dont les rameaux naturels ont été abattus. L’orgueil a fait abattre ceux-ci et l’humilité a fait enter celui-là[2]. Cette humilité éclatait dans la Chananéenne quand elle disait : Oui, Seigneur, je suis une chienne, et je cherche à ramasser des miettes. Cette humilité encore fit le mérite du Centurion. Il désirait que le Seigneur guérit son valet, et le Seigneur répondant : « J’irai et je le guérirai ; Seigneur ; répliqua-t-il, je ne suis pas digne que vous entriez dans ma demeure, mais dites seulement une parole, et mon serviteur sera guéri. » Je ne suis pas digne de vous recevoir dans ma demeure, et déjà il l’avait reçu dans son cœur. Plus il était humble, plus aussi il avait de capacité et plus il était rempli. L’eau tombe des collines et remplit les vallées. Mais après que le Centurion eût dit : « Je ne suis pas digne que vous entriez dans ma demeure », qu’est-ce que le Seigneur adressa à ceux qui le suivaient ? « En vérité je vous le déclare, je n’ai pas trouvé tant de foi dans Israël. » Tant de foi, c’est-à-dire une foi si grande. Et qui la rendait si grande ? La petitesse, c’est-à-dire l’humilité. « Je n’ai pas trouvé tant de foi ; » elle ressemble au grain de sénevé, d’autant plus actif qu’il est plus petit. Déjà donc alors le Seigneur greffait le sauvageon sur l’olivier véritable ; il le faisait au moment où il disait : « En vérité je vous le déclare, je n’ai pas trouvé tant de foi dans Israël. »
13. Voyez enfin ce qui suit. « Aussi », parce que « Je n’ai pas trouvé dans Israël ; » tant d’humilité dans la foi, « pour cela donc je vous le déclare, beaucoup viendront de l’Orient et de l’Occident et auront place avec Abraham, Isaac et Jacob au festin du royaume des cieux [3]. – Ils auront place au festin », ils reposeront. Car nous ne devons point nous figurer, dans ce royaume, de banquets charnels ni y désirer rien de semblable ; ce serait, non pas changer nos vices en vertus, mais nous appuyer sur eux. Autre chose est de désirer le royaume des cieux en vue de là sagesse et de l’éternelle vie ; et autre chose d’y aspirer en vue de la félicité terrestre qu’on y attendrait plus abondante et plus grande. Compter sur l’opulence dans ce royaume, ce n’est pas détruire la cupidité, c’est lui donner un autre objet. On y sera riche, toutefois, on ne sera même riche que là : N’est-ce pas l’indigence qui mendie tant ici ? Pourquoi les riches possèdent-ils beaucoup ? Parce que leurs besoins sont nombreux. Plus la pauvreté est grande, plus elle cherche. Là au contraire il n’y aura plus de pauvreté ; on y

  1. Psa. CV
  2. Rom. 11, 17-21
  3. Mat. 8, 5, II