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monde, par les prophètes ont prédit que vous le feriez ? Qu’elle marche donc sur les eaux et qu’elle parvienne ainsi jusqu’à vous, puisqu’il lui a été dit : « Les opulents de la terre imploreront tes regards [1]. » Le Seigneur n’a rien à craindre des louanges humaines, tandis que dans l’Église même les éloges et les honneurs sont souvent pour les mortels un sujet de tentation. Et presque de ruine. Aussi Pierre tremble sur les flots, il redoute l’extrême violence de la tempête. Eh ! qui ne craindrait devant cette parole : « Ceux qui vous disent heureux vous trompent et font trembler le sentier où vous marchez ?[2] » L’âme résiste donc au désir des louanges humaines ; aussi convient-il, au milieu de ce danger, de recourir à l’oraison et à la prière ; car il pourrait bien se faire de charme des applaudissements des hommes on succombât sous leur blâme. Que Pierre s’écrie, en chancelant sur l’onde : « Sauvez-moi, Seigneur. » Le Seigneur étend la main, et quoiqu’il le réprimande en lui disant : « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? » pourquoi, les yeux fixés directement sur Celui vers qui tu marchais, ne t’es tu pas glorifié uniquement dans le Seigneur ? il ne laisse pas de le tirer des flots sans le laisser périr, parce qu’il a confessé sa faiblesse et sollicite son secours. Le Seigneur enfin est entré dans le navire, la foi est affermie, il n’y a plus de doute, la tempête est apaisée et l’on va mettre en paix le pied sur la terre ferme. Tous alors se prosternent Pro s’écriant : « Vous êtes vraiment le Fils de Dieu. » C’est l’éternelle joie, joie produite par la connaissance et l’amour de la vérité contemplée dans tout son éclat, du Verbe de Dieu et de sa Sagesse par laquelle tout a été fait, et de son infinie miséricorde.


SERMON LXXVI. NÉCESSITÉ DE L’HUMILITÉ

ANALYSE. – Le thème de ce discours est emprunté au même fait miraculeux que le discours précédent. Seulement saint Augustin ne s’arrête ici qu’à la circonstance de Pierre marchant sur les eaux. La mer agitée, dit-il, représente le monde, et Pierre qui se montre à la fois si parfait et si imparfait, si fort et si faible, représente l’Église, où l’on distingue toujours et des forts et des faibles Or de même que lierre n’est fort et ne marche sur les eaux qu’autant qu’il s’appuie sur la puissance et sur le bras de Dieu, ainsi nul de nous n’a de vertus et ne fait le bien que par la grâce de Dieu. Heureux qui sait imploser cette grâce pour résister aux séductions de la fortune, comme pour lutter contre les dangers de l’adversité.


1. L’Évangile dont on vient de faire lecture représente le Christ Notre-Seigneur marchant sur les eaux et l’Apôtre Pierre y marchant aussi, mais tremblant quand il craint, enfonçant quand il se défie et surnageant quand il confesse sa faiblesse et sa foi. Cet Évangile nous invite donc voir dans la mer le siècle présent et dans l’Apôtre Pierre le type de l’Église qui est unique. Pierre en effet tient le premier rang parmi les Apôtres, il est le plus ardent à aimer le Christ, et souvent il répond seul au nom de tous. Le Seigneur Jésus-Christ ayant demandé pour qui on le prenait, les disciples firent connaître les différentes opinions qu’on se formait de lui, mais le Seigneur les interrogeant de nouveau et leur disant : « Et vous, qui dites-vous que je suis ? » Pierre répondit : « Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant. » Seul il fait cette réponse au nom de tous, c’est l’unité dans la pluralité. Et le Seigneur alors : « Tu es bienheureux, Simon, fils de Jonas, car ce n’est ni la chair ni le sang qui te l’ont révélé, mais mon Père qui est dans les cieux. » Puis il ajoute : « Et moi je te déclare », c’est-à-dire : Puisque tu m’as dit : « Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant, je te dis à mon tour : Tu es Pierre. » Auparavant en effet il s’appelait Simon, et ce nom de Pierre lui a été donné par le Seigneur, afin qu’il pût figurer et représenter l’Église. Effectivement, puisque le Christ est la Pierre, Petra[3], Pierre, Petrus, est le peuple chrétien. Pierre, Petra, est le radical, et Pierre, Petrus, vient de Petra, et non pas Petra de Petrus; de même que Christ ne vient pas de chrétien, mais chrétien de Christ. Donc, dit le Sauveur, « Tu es Pierre, Petrus, et sur cette Pierre» que tu as confessée, sur cette Pierre que tu as connue en t’écriant : «

  1. Psa. 44, 13
  2. Isa. 3, 12
  3. 1Co. 10, 4