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diable à cause de ses ravages. Ce même démon est encore représenté comme un reptile, c’est l’antique serpent [1] : s’ensuit-il que notre Pasteur nous ordonne d’imiter ce serpent quand il nous dit : « Soyez simples comme des colombes et rusés comme des serpents ?[2] »
3. Hier donc je me suis adressé au chemin, aux lieux pierreux et aux lieux couverts d’épines, et je leur ai dit : Changez puisque vous le pouvez, retournez avec la charrue ce terrain durci, jetez les pierres de ce champ, arrachez-en les épines. N’ayez point ce cœur endurci où meurt aussitôt la parole de Dieu. Ne soyez point cette terre légère où la charité ne saurait enfoncer ses racines. Gardez-vous, d’étouffer par les soins et les passions du siècle, la bonne semence que nous répandons en vous par nos travaux. Car c’est le Seigneur qui sème et nous ne sommes que ses ouvriers. Soyez une bonne terre, vous disions-nous hier, et aujourd’hui nous répétons à tous : Que l’un donne cent, l’autre soixante et l’autre trente pour un. L’un produit plus que l’autre, mais tous ont droit au grenier. Voilà ce que nous disions hier. Je m’adresse aujourd’hui à l’ivraie. Cette ivraie désigne des brebis du troupeau. O mauvais chrétiens ! ô vous qui fatiguez par votre mauvaise conduite l’Église que vous remplissez ! corrigez-vous avant l’époque de la moisson, ne dites pas : « J’ai péché, et que m’est-il advenu de fâcheux ?[3] » Dieu n’a rien perdu de sa puissance ; mais il exige que tu fasses pénitence. C’est ce que je dis aux pécheurs, qui pourtant sont chrétiens ; c’est ce que je dis à l’ivraie. Car ils sont dans le champ du Père de famille, et il peut se faire qu’ivraie aujourd’hui, demain ils soient bon grain. Pour ce même motif je m’adresse aussi au froment.
4. O chrétiens qui vivez saintement ! vous êtes en petit nombre et vous soupirez, vous gémissez au sein de la multitude. L’hiver passera, viendra l’été et voici bientôt la moisson. Les Anges viendront avec le pouvoir de faire la séparation et dans l’impuissance de se tromper. Pour nous, nous ressemblons aujourd’hui à ces serviteurs qui disaient : « Voulez-vous que nous allions l’arracher ? » Nous voudrions en effet, s’il était possible, qu’il ne restât aucun méchant parmi les bons. Mais il nous a dit : « Laissez croître l’un et l’autre jusqu’à la moisson. » Pourquoi ? Parce que vous pourriez vous tromper. Aussi écoutez « Dans la crainte qu’en voulant arracher l’ivraie vous n’arrachiez aussi le froment. » Que faites-vous avec cette noble ardeur ? N’allez-vous point ravager ma moisson ? Les moissonneurs viendront, c’est-à-dire les Anges, comme l’a expliqué le Sauveur. Nous sommes des hommes, les Anges sont les moissonneurs. Il est vrai, si nous achevons notre course, nous serons égaux aux anges de Dieu ; mais aujourd’hui que nous noirs fâchons contre les méchants, nous sommes encore des hommes, et nous devons prêter l’oreille à ces mots : « Que celui donc qui se croit debout prenne garde de tomber [4]. » Croyez-vous, mes frères, que l’ivraie ne s’élève pas jusqu’à l’abside[5] ? Croyez-vous qu’il n’y en ait qu’en bas et point en haut ? Plaise à Dieu que nous n’en soyons pas nous-même ! « Mais peu m’importe d’être jugé par vous[6]. » Oui, je le déclare à votre charité : il y a dans les absides du froment et de l’ivraie, du froment aussi et de l’ivraie parmi le peuple. Que les bons supportent donc les méchants, mais que les méchants se convertissent et imitent les bons. Devenons tous, sil est possible, les serviteurs de Dieu, et tous, par sa miséricorde, échappons à la malice de ce siècle, Cherchons les jours heureux, puisque nous sommes dans les jours malheureux ; mais pour arriver à ces heureux jours, ne blasphémons point en traversant les jours malheureux.

  1. Apo. 12, 9
  2. Mat. 10, 6
  3. Sir. 5, 4
  4. 1Co. 10, 12
  5. D’où les Évêques parlaient au peuple
  6. 1Co. 4, 3