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Que deviendront alors ceux que l’Église désire s’attacher ? Leur promet-on vainement la rémission des péchés, s’ils se corrigent et laissent tous leurs égarements ? Qui d’entre eux, hélas ! N’est convaincu d’avoir parlé contre l’Esprit-Saint, avant de devenir chrétien ou catholique. Les païens d’abord, les adorateurs des idoles et des faux dieux, en attribuant aux arts magiques les miracles du Christ Notre-Seigneur, ne ressemblent-ils pas à ceux qui l’accusaient de ne chasser les démons qu’au nom du prince des démons, et en blasphémant chaque jour contre nos pratiques de sanctification, font-ils autre chose que de blasphémer contre le Saint-Esprit ? Et les Juifs qui reprochèrent au Seigneur ce qui a fait le commencement de ce discours, ne parlent-ils pas encore aujourd’hui contre le Saint-Esprit, puisqu’ils soutiennent qu’il n’est pas dans les chrétiens, comme leurs prédécesseurs soutenaient qu’il n’était pas dans le Christ ? Ceux-ci en effet n’outragèrent point le Saint-Esprit en niant son existence, ni en prétendant qu’il n’était qu’une simple créature ou qu’il fût incapable de chasser les démons ; ils ne se permirent contre lui ni ces injures ni rien de semblable. Les Sadducéens, à la vérité, niaient le Saint-Esprit, mais à l’encontre de cette hérésie, les Pharisiens soutenaient son existence[1] ; ils prétendaient seulement qu’il n’était point avec Jésus-Christ Notre-Seigneur, c’est pourquoi ils l’accusaient de chasser les démons au nom du prince des démons, quoiqu’il les chassât réellement au nom de l’Esprit-Saint. D’où il suit qu’en reconnaissant le Saint-Esprit, mais en niant qu’il soit dans le corps du Christ, c’est-à-dire dans son Église unique, car il n’y a qu’une seule Église, l’Église catholique, les juifs et les hérétiques qui l’admettent, ressemblent assurément à ces Pharisiens qui tout en reconnaissant alors le Saint-Esprit, le refusaient à Jésus-Christ, dont la puissance à chasser les démons était attribuée par eux au prince des démons. Je ne parle pas de certains hérétiques qui considèrent le Saint-Esprit non pas comme Créateur mais comme créature : tels sont les Ariens, les Eunomiens, les Macédoniens ; ou qui le nient par là même qu’ils nient la Trinité, affirmant qu’il n’y a que Dieu le Père, et qu’il prend quelquefois le nom de Fils et parfois le nom de d’Esprit-Saint : tels sont les Sabelliens, appelés par quelques-uns Patripassiens, parce qu’ils attribuent la passion au Père ; en niant que le Père ait un Fils ils nient aussi l’existence du Saint-Esprit. Les Photiniens également, en ne reconnaissant que Dieu le Père, et en ne voyant dans le Fils que la nature humaine, nient aussi d’une manière absolue l’existence de la troisième personne, du Saint-Esprit.
6. Il est donc évident que les païens, que les juifs et que les hérétiques blasphèment contre le Saint-Esprit. Faut-il pour cela les abandonner, les désespérer, puisqu’il est écrit d’une manière irrévocable qu’il « ne sera pardonné ni dans ce siècle ni dans le siècle à venir à quiconque aura dit une parole contre l’Esprit-Saint ? » Faut-il ne regarder comme exempts de ce crime, affreux que ceux qui sont catholiques depuis leurs plus jeunes années ? Ceux en effet qui ont ajouté foi à la parole de Dieu pour se faire catholiques, ont quitté les rangs des païens, des juifs ou des hérétiques, pour entrer en grâce et en paix avec le Christ ; et s’ils n’ont pas reçu le pardon de ce qu’ils ont dit contre l’Esprit-Saint, c’est en vain que l’on fait des promesses aux hommes, qu’on leur prêche de se convertir au Seigneur et de venir recevoir dans le baptême ou au sein de l’Église, la paix et le pardon de leurs péchés. Car le Christ ne dit pas que ce péché ne sera remis que dans le baptême, mais qu’il ne sera remis « ni dans ce siècle ni dans le siècle à venir. »
7. Plusieurs se figurent qu’il n’y a de péché contre le Saint-Esprit que pour ceux qui, après s’être purifiés au sein de l’Église dans le bain de régénération et avoir reçu le Saint-Esprit, ont poussé contre le Sauveur l’ingratitude de ses bienfaits jusqu’à se plonger dans quelque péché mortel ; tels que l’adultère, l’homicide, et même l’apostasie absolue du nom chrétien ou au moins de l’Église catholique. J’ignore comment on pourrait prouver ce sentiment, car il n’est point de crimes auxquels soit fermée dans l’Église la porte de la pénitence ; et le motif pour lequel il est recommandé par l’Apôtre de reprendre les hérétiques eux-mêmes, « c’est que Dieu leur donnera peut-être l’esprit de pénitence pour qu’ils connaissent la vérité et qu’ils se dégagent des filets du diable qui les tient captifs sous sa volonté.[2] » A quoi servirait en effet la réprimande, s’il n’y avait aucune espérance de pardon ? De plus, le Seigneur ne dit pas : Si un fidèle, si un catholique profère un mot contre l’Esprit-Saint ; mais : « Si quelqu’un », quel qu’il soit,

  1. Act. 23, 8
  2. 1Ti. 2, 25-26