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pacifiques ? Se séparent-elles à la suite de ces difficultés ? Elles continuent à voler et à manger ensemble, leurs débats sont vraiment pacifiques. Voici comment les imiter : « Si quelqu’un, dit l’Apôtre, ne se soumet pas à ce que nous ordonnons par cette lettre, notez-le et n’ayez point de commerce avec lui. » Voilà bien une dissension ; mais c’est une dissension de colombes et non de loups ; car l’Apôtre ajoute aussitôt : « Ne le considérez pas comme un ennemi, mais reprenez-le comme un frère [1]. » La colombe est affectueuse, même en disputant et le loup haineux, même en flattant. Ornés ainsi de la simplicité des colombes et de la prudence des serpents, célébrez la fête des martyrs avec une sobriété toute spirituelle et non en vous plongeant dans l’ivresse. Chantez les louanges de Dieu ; car nous avons pour Seigneur et pour Dieu le Dieu même des martyrs ; c’est lui aussi qui nous couronne : si nous avons bien combattu, nous serons couronnés par les mêmes mains qui ont déposé la couronne sur le front des vainqueurs, que nous aspirons à imiter.


SERMON LXV. LA VIE DE L’ÂME[2].

ANALYSE. – Ce discours n’est que l’explication de ces paroles évangéliques : « Ne craignez point ceux qui tuent le corps et ne peuvent tuer l’âme ; mais craignez Celui qui peut mettre à mort le corps et l’âme dans la géhenne[3]. » En effet 1° ceux qui vous menacent n’ont-ils pas autant à craindre que vous ? 2° Tout ce qu’ils peuvent, se réduit a ôter à votre corps une vie qui lui sera plus tard rendue magnifiquement. 3° En ne craignant pas Dieu vous perdriez à tout jamais la vie de votre âme et seriez condamnés à la mort éternelle et de l’âme et du corps.


1. Les divins oracles que l’on vient de lire nous invitent à ne pas craindre en craignant et à craindre en ne craignant pas. Vous avez remarqué, à la lecture du saint Évangile, qu’avant de mourir pour nous le Seigneur notre Dieu a voulu nous affermir ; il l’a fait en nous recommandant de ne pas craindre et en nous recommandant de craindre. « Ne craignez pas, dit-il, ceux qui tuent le corps et ne peuvent tuer l’âme. » C’est l’invitation â ne rien craindre. Et voici l’invitation à craindre : « Mais craignez Celui qui peut mettre à mort le corps et l’âme dans la géhenne. » Ainsi craignons pour ne craindre pas. La crainte paraît être une lâcheté, le caractère des faibles et non des forts. Remarquez néanmoins ce que dit l’Écriture : « La crainte du Seigneur est l’appui des forts[4]. » Craignons pour ne craindre pas, en d’autres termes, craignons sagement pour ne pas craindre follement. Ces saints martyrs dont la fête nous a procuré d’entendre ces paroles évangéliques, ont ainsi craint en ne craignant pas ; car en craignant Dieu, ils ont méprisé la crainte des hommes.
2. Qu’est-ce en effet qu’un homme peut avoir à craindre des hommes ? Qu’y a-t-il dont un homme puisse faire peur à un autre homme ? Pour t’effrayer il te dit : Je te tue ; et il ne redoute pas, en te menaçant, de mourir avant toi ! Je te tue, dit-il. Qui tient ce langage ? A qui s’adresse-t-il ? Je vois ici deux hommes ; l’un épouvante, l’autre est épouvanté ; l’un est puissant, l’autre faible ; mais tous deux sont mortels. Pourquoi donc le premier s’enfle-t-il de ses honneurs et de sa puissance lorsque par son corps il est aussi faible que le second ? S’il ne craint pas la mort, qu’il menace de la mort ; mais s’il craint le sort dont il menace autrui, qu’il rentre en lui-même et qu’il se compare à qui il fait peur. Qu’il reconnaisse dans celui-ci une situation égale à la sienne et qu’avec lui il implore la miséricorde divine. C’est un homme qui menace un homme, une créature qui veut faire trembler une autre créature ; mais l’une s’élève insolemment sous la main de son Créateur et l’autre cherche un asile dans son sein.
3. Ce courageux martyr, cet homme debout devant un homme peut donc dire hardiment Parce que je le crains, je ne te crains pas. En vain tu menaces, s’il s’y oppose tu ne feras rien ; tandis que nul n’entrave l’exécution de ses desseins. Lors même, d’ailleurs, qu’il te permettrait d’agir, jusqu’où iras-tu ? Jusqu’à tourmenter le corps, mais l’âme est à l’abri de tes coups. Tu ne saurais

  1. 2 Th. 3, 14,15
  2. Mat. 10, 28
  3. Mat. 10, 28
  4. Pro. 14, 26