Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/298

Cette page n’a pas encore été corrigée

« Non, dit-il, nous n’avons rien apporté dans ce monde. » Tu n’y as rien apporté et tu y as trouvé beaucoup ; mais n’emporteras-tu pas quelque chose ? Peut-être encore que l’amour de tes richesses te fait craindre de confesser ici la vérité ? Écoute donc encore une fois l’Apôtre, qui la publie sans chercher à te flatter. « Nous n’avons rien apporté dans ce monde », au moment de notre naissance ; « mais nous n’en pouvons rien emporter non plus », au moment de notre mort. Tu n’as rien apporté, tu n’emporteras rien : pourquoi, t’élever dédaigneusement au-dessus du pauvre ? Voici des enfants qui naissent ; à l’écart et parents et serviteurs et clients ; à l’écart la foule obséquieuse. Distinguera-t-on à leurs larmes les enfants des riches ? Que deux femmes, l’une riche et l’autre pauvre, accouchent en même temps ; qu’elles ne considèrent point leurs enfants et s’éloignent tant soit peu ; pourront-elles en s’en rapprochant les discerner ? Ainsi, riche, tu n’as rien apporté dans ce monde, et tu n’en peux rien emporter. Ce que je dis des enfants nouveau-nés, je puis le dire de tous les morts. Quand par hasard s’ouvrent de vieux tombeaux, y discerne-t-on les ossements d’un riche ? Entends donc, riche, entends encore l’Apôtre : « Nous n’avons rien apporté dans ce monde. » Reconnais que c’est la vérité. « Mais nous ne saurions en rien emporter non plus. » Confesse que c’est également la vérité.
10. Et quelle conséquence ? « Ayant donc la nourriture et le vêtement, contentons-nous. Car ceux qui veulent devenir riches, tombent dans la tentation et dans beaucoup de désirs inutiles et nuisibles, qui plongent l’homme dans la ruine et la perdition. Car la racine de tous les maux est la cupidité, et plusieurs s’y laissant aller ont dévié de la foi. » Considère bien ce qu’ils ont perdu. Tu en gémis. Vois de plus où ils se sont jetés. Attention ! « Ils ont dévié de la foi et se sont jetés dans beaucoup de chagrins. » Mais qui ? « Ceux qui veulent devenir riches. » Autre chose en effet est d’être riche, et autre chose de le vouloir devenir. On est riche quand la richesse vie et des parents ; on n’a pas cherché à l’acquérir, mais on a recueilli un grand nombre de successions. Je considère ici la fortune, je n’examine point les plaisirs qu’elle peut donner. J’accuse l’avarice ; je n’accuse ni l’or, ni l’argent, ni les richesses, mais la seule avarice. Pour ceux en effet qui ne cherchent pas à devenir riches, ou qui n’y travaillent pas, ou qui ne sont pas dévorés de cupidité ni enflammés de la passion d’acquérir, mais qui sont riches, ils n’ont qu’à écouter l’Apôtre. On a lu aujourd’hui : « Commande aux riches de ce siècle. » Commande, quoi ? « Commande-leur » avant tout « de ne pas s’élever d’orgueil. » Il n’est rien en effet que les richesses engendrent comme l’orgueil, Chaque fruit, chaque graine, chaque espèce de blé a son ver rongeur particulier. Autre est le ver du pommier et autre celui du poirier ; autre encore est celui de la fève et autre celui du froment. L’orgueil est le ver des richesses.
11. « Commande donc aux riches de ce siècle de ne pas s’élever d’orgueil. » Voilà le vice condamné. Comment doivent-ils se conduire ? « Commande-leur de ne pas s’élever d’orgueil. » Comment s’en préserveront-ils ? Le voici : « Et de ne point se confier à des richesses incertaines. » Ceux qui ne se confient pas à richesses incertaines ne s’élèvent pas d’orgueil. Mais s’ils ne s’élèvent pas, qu’ils craignent, et s’ils craignent ils ne s’élèvent pas. Combien de riches d’hier sont pauvres aujourd’hui ! Combien s’endorment riches et, dépouillés secrètement par les larrons ; s’éveillent pauvres ! Qu’on ne se confie donc pas « à des richesses incertaines mais au Dieu vivant qui nous donne abondamment toutes choses pour en jouir : » soit les choses temporelles, soit les choses éternelles. Les éternelles pour en jouir, et à parler exactement, les temporelles pour en user ; temporelles comme à des voyageurs, les éternelles comme à des hommes en repos ; les temporelles pour faire le bien, les éternelles pour nous rendre bons. Que les riches agissent donc de la sorte ne s’élèvent pas d’orgueil et ne se confient des richesses incertaines, mais « au Dieu vivant qui nous donne abondamment toutes choses pour en jouir : » telle est leur règle de conduite. Et que doit-il en résulter dans la pratique ? Écoute : « Qu’ils soient riches en bonnes œuvres et donnent aisément. » Car ils le peuvent. Pourquoi ne le font-ils pas ? Les pauvres en sont empêchés. Mais eux, « qu’ils donnent aisément ; » ils ont de quoi le faire. « Qu’ils partagent », reconnaissant ainsi que les autres mortels leurs semblables. « Qu’ils partagent et se fassent un trésor qui soit un bon fondement pour l’avenir. » En leur disant de donner aisément,