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SERMON LX. DE L’AUMÔNE[1].

ANALYSE. – En se reportant aux secousses douloureuses qui agitaient le monde Romain lorsque prêchait Saint Augustin, on comprendra mieux l’effet saisissant que dut produire ce discours. Dans les graves embarras de la vie, dit le saint Docteur, on aime prendre conseil. Or 1°tout aujourd’hui va mal dans le monde ; tout est bouleversé. L’homme cependant cherche encore à acquérir des richesses, certain de n’en pouvoir jouir lui-même, puisqu’il ne les emportera pas en mourant ; incertain même si sa postérité pourra en, profiler et si elles ne seront pas enlevées par la ruse ou la violence. Que faire dans an tel état de choses ? Consulter Jésus-Christ, la sagesse même. – 2° Jésus-Christ veut que nous mettions, au ciel, nos richesses en sûreté en les distribuant aux pauvres Pour absoudre ou pour condamner au jugement dernier il ne fera mention que de l’aumône faite ou négligée ; car l’aumône est le moyen de racheter nos péchés et de répondre à l’amour de Dieu pour nous. – Donc ayons soin, en donnant l’aumône, de faire de dignes fruits de pénitence.


1. Quiconque est dans la peine et embarrassé sur ce qu’il a à faire, s’adresse à un homme prudent, polir lui demander conseil et obtenir de lui mie règle de conduite. Considérons le monde entier comme un seul homme. Il cherche à se garantir du mal, il lui en coûte de faire le bien ; ses tribulations augmentent alors et il ne sait que faire. Lui est-il possible, pour prendre conseil, de rencontrer quelqu’un qui soit plus prudent que le Christ ? Qui, s’il en trouve un meilleur, qu’il suive ses avis. Mais si la chose est impossible, qu’il vienne donc à lui, et qu’en quelque lieu qu’il le rencontre, il le consulte, accepte son sentiment et obéisse à ses salutaires préceptes pour échapper à de grands maux. Car les maux présents, ces maux temporels que les hommes redoutent si vivement, et sous le poids desquels ils murmurent, offensant ainsi Celui qui par ce moyen veut les corriger et l’empêchant d’être leur Sauveur ; ces maux présents ne sont sans aucun doute que des maux passagers ; car ils passent avant nous, ou nous passons avant eux ; ils passent lorsque nous sommes encore en vie, ou nous y échappons en mourant. Mais quel mal peut-on appeler grand quand il doit durer si peu ? Toi qui te préoccupes du jour de demain, tu as donc oublié le jour d’hier ? Ce demain ne sera-t-il pas devenu hier, quand nous serons à après-demain ? Ah ! si pour se soustraire à des souffrances temporelles qui passent ou plutôt qui s’envolent, les hommes se consument de tant de soucis ; que ne doit-on pas imaginer pour se dérober à des calamités qui persévèrent et durent éternellement ?
2. Cette vie mortelle est une grosse affaire. Qu’est-ce que naître, sinon entrer dans une carrière laborieuse, et les pleurs de l’enfant ne témoignent-ils pas des peines qui nous y attendent ! Personne n’est exempt de ce fâcheux breuvage ; il faut boire la coupe présentée par Adam. Nous sommes l’œuvre des mains de Dieu ; mais le péché nous a jetés sur un théâtre de vanité. Nous sommes faits à l’image de Dieu [2] ; mais la prévarication a défiguré en nous cette image. Aussi lisons-nous dans un psaume et ce que nous étions et ce que nous sommes devenus.« Quoique l’homme, y est-il dit, marche à l’image de Dieu. » Voilà ce qu’il était. Mais qu’est-il devenu ? Écouté ce qui suit : « Il ne se troublera pas moins vainement. » Il marche avec l’image de la vérité, et il se trouble sous l’inspiration de la vanité. Et en quoi consiste son trouble ? Reconnais-le, et dans cette espèce de miroir regarde-toi avec confusion. « Quoique l’homme marche à l’image de Dieu ; » quoique l’homme soit ainsi une grande chose ; « il ne s’en troublera pas moins vainement. » Et comme si nous disions : Mais de quoi, je te prie, se troublera-t-il vainement ? « Il amasse des trésors, poursuit l’auteur sacré, et il ignore pour qui[3]. » Voilà l’homme, voilà, comme un seul homme, le genre humain tout entier qui faiblit dans son devoir, il perd l’esprit et s’égare loin du bon sens : « Il amasse des trésors sans savoir pour qui. » Est-il rien de plus déraisonnable, rien de plus malheureux ? Est-ce pour lui que l’homme amasse ? Non. Pourquoi non ? Parce qu’il doit mourir, parce que la vie est courte, parce que le trésor reste tandis que celui qui l’amasse disparaît rapidement. Aussi, pénétré de compassion pour ce malheureux qui marche à l’image de. Dieu, qui publie la vérité tout en s’attachant à la vanité ; « il se troublera vainement, dit le prophète. » Je le plains ; « il amasse des

  1. Mat. 6, 19-21
  2. Gen. 1, 27
  3. Psa. 38, 7