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Que demandons-nous alors ? Que demandons-nous ? Écoutez. « Que nul, lorsqu’il est tenté, dit l’Apôtre saint Jacques, ne dise que c’est Dieu qui le tente[1]. » La tentation est ici prise dans un mauvais sens, pour les déceptions et les chutes que cause le démon. Il est en effet une autre espèce de tentation qui porte le nom d’épreuve ; c’est d’elle qu’il est écrit : « Le Seigneur notre Dieu vous tente pour savoir si vous l’aimez[2]. » Qu’est-ce à dire, pour savoir ? Pour vous faire savoir, car lui le sait. Dieu donc n’envoie à personne la tentation qui consiste à : tromper et à séduire ; mais dans ses jugements aussi profonds que mystérieux, il est des hommes qu’il abandonne ; et quand il les abandonne le tentateur sait ce qu’il a à faire. Dans ce malheureux que Dieu abandonne, il ne trouve pas un ennemi qui lui résiste, mais un bien dont il s’empare. Afin donc de n’être pas abandonnés nous crions : « Ne nous induisez pas en tentation. » « Chacun, dit l’Apôtre saint Jacques, est tenté par la concupiscence qui l’entraîne et le séduit ; puis la concupiscence ayant conçu enfante le péché, et le péché consommé engendre la mort[3]. » À quoi se réduit cet enseignement ? À nous exciter, à combattre nos passions. Vous allez laisser vos péchés dans le saint baptême, mais vous conserverez vos passions pour les combattre après avoir été régénérés ; la guerre restera en vous. – Ne crains aucun ennemi extérieur ; sache te vaincre et le monde est vaincu. Que peut sur toi le tentateur étranger, le démon ou son ministre, peu importe ? Un homme pour te séduire, fait briller à tes yeux l’appât du gain ; s’il ne trouve pas en toi d’avarice, que peut-il ? Mais s’il en trouve, cette passion s’enflamme à la vue du gain et tu te laisses prendre à ce perfide appât, au lieu que vainement il te serait présenté si tu n’avais pas d’avarice. Le tentateur te propose une femme remplie de beauté ; sois chaste intérieurement et tu triomphes de l’iniquité. Pour n’être pas séduit par les charmes d’une femme étrangère, lutte contre la convoitise. Tu ne sens pas ton ennemi, mais tu ressens l’impression mauvaise. Tu ne vois pas le diable, mais tu vois ce qui t’impressionne. Dompte cette impression secrète ; combats, combats. Celui qui t’a régénéré te jugera ; s’il veut la lutte, c’est pour te donner une couronne. Mais s’il ne te soutient, s’il t’abandonne, tu seras vaincu sans aucun doute, voilà pourquoi tu lui dis dans ta prière : « Ne nous induisez pas en tentation. » Il est des hommes que dans la colère de son jugement il a abandonnés à leurs passions ; c’est ce que dit l’Apôtre : « Dieu les a livrés aux convoitises de leur cœur[4]. » Comment les a-t-il livrés ? Non pas en leur faisant violence, mais en les laissant.
10. « Délivrez-nous du mal. » Cette demande peut faire partie de la précédente ; et pour faire entendre qu’elle n’en fait qu’une avec elle, elle est ainsi exprimée : « Ne nous induisez pas en tentation, mais délivrez-nous du mal. » La conjonction mais indique qu’il n’y a ici qu’une demande : « Ne nous induisez pas en tentation, mais délivrez-nous du mal. » Comment ? Voyons chaque membre de la phrase : « Ne nous induisez pas en tentation ; mais délivrez-nous du mal. » En nous délivrant du mal, il ne nous induit pas en tentation ; et en ne nous induisant pas en tentation, il nous délivre du mal.
11. Mais la grande tentation, mes chers amis, la grande tentation de cette vie, c’est quand on attaque en nous ce qui nous fait mériter le pardon des fautes où nous avons pu tomber. La tentation horrible, c’est quand on nous ôte le remède aux blessures produites par les autres tentations. Vous ne comprenez pas encore je le vois ; appliquez-vous et vous comprendrez. Par exemple, un homme est tenté par l’avarice et il finit par succomber sous quelque coup, car te bon combattant, le valeureux guerrier est blessé quelquefois. Un homme donc, après même avoir lutté avec courage, est vaincu par l’avarice, il a fait je ne sais quoi sous l’inspiration de l’avarice. Un mouvement d’impureté s’est fait sentir, il n’a conduit ni au viol ni à l’adultère. Le premier de ces crimes fût-il commis, il faudrait s’abstenir du second. Mais on a vu une femme avec convoitise, on a pensé à quelque chose avec trop de plaisir, on a accepté le combat, et si bon lutteur qu’on soit on est blessé. Cependant on n’a pas consenti, on a réprouvé le mouvement désordonné, on, lui a opposé une douleur amère et on l’a vaincu. Mais pour avoir molli d’abord on peut dire : « Pardonnez-nous nos offenses. » Ainsi en est-il des autres tentations, et toujours il est difficile que nous n’ayons pas besoin de nous écrier : « Pardonnez-nous nos offenses. » Quelle est donc cette horrible tentation dont j’ai parlé, cette tentation funeste, redoutable, et qu’il faut éviter de toutes ses forces, avec tout

  1. Jac. 1, 13
  2. Deut. 13, 3
  3. Jac. 1, 14-15
  4. Rom. 1, 24