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Il ne sera plus dans l’autre, question d’offenses ; ici on est tenté, ici on est exposé au naufrage, ici la faiblesse laisse pénétrer dans le navire ce qu’il en faut rejeter. Mais lorsque nous serons devenus égaux aux Anges de Dieu, à Dieu ne plaise que nous lui demandions pardon de nos fautes, puisqu’il n’y en aura plus ! Ici donc le pain quotidien ; ici le pardon de nos péchés ; ici la victoire sur la tentation qui ne pénètre pas dans cet autre inonde ; ici encore la délivrance du mal, puisque là ne sera aucun mal, mais le bonheur éternel.


SERMON LVII. DE L’ORAISON DOMINICALE[1].

ANALYSE. – En expliquant la même prière, ce discours suit le même ordre que le précédent. Mais il en diffère par la rédaction et d’intéressants détails.


1. L’ordre à suivre dans votre éducation spirituelle est de vous enseigner d’abord ce que vous devez croire, ensuite ce que vous devez demander. Voici en effet ce que dit l’Apôtre : « Et il arrivera ainsi : quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé. » Ce texte est emprunté par lui à un prophète, car un prophète a prédit cette époque où tous devaient invoquer Dieu : « quiconque implorera le nom du Seigneur sera sauvé. » L’Apôtre a même ajouté : « Mais comment l’imploreront-ils, s’ils ne croient pas en lui ? Comment y croiront-ils, s’ils n’en ont pas entendu parler ? Et comment en entendront-ils parler, si personne ne les prêche ? Et comment les prêchera-t-on, si l’on n’est pas envoyé[2] ? » On a donc envoyé des prédicateurs, ils ont annoncé le Christ, et les peuples les ont entendus parler de lui : en entendant ils ont cru et en croyant ils l’ont invoqué. Il était donc juste et souverainement exact de dire : « Comment l’imploreront-ils, s’ils ne croient pas en lui ? Aussi vous a-t-on enseigné d’abord à croire, et vous apprend-on aujourd’hui même à invoquer Celui en qui vous croyez.
2. C’est le Fils de Dieu, c’est Notre-Seigneur Jésus-Christ qui nous a appris à prier. Il est le Seigneur même, comme vous l’avez appris et récité dans le Symbole, le Fils unique de Dieu, mais il ne veut pas rester seul. Il est unique, mais il ne veut pas – être seul, et il a daigné avoir des frères. À qui recommande-t-il de dire : « Notre Père qui êtes dans les cieux ? » A qui veut-il que nous donnions ce nom de Père, sinon à son propre Père ? Y a-t-il là jalousie à notre égard ? Après avoir mis au monde un, deux, trois enfants les parents quelquefois craignent d’en avoir encore, ils ont peur de réduire les premiers à la mendicité. Mais l’héritage que nous promet le Sauveur peut être partagé entre beaucoup, sain que personne y soit à l’étroit ; aussi invite-t-il les peuples gentils à devenir ses frères, et qui pourrait nombrer ceux qui ont le droit de dire avec ce Fils unique : « Notre Père qui êtes aux cieux ? » Combien l’ont dit avant nous ? Combien le diront après ? Combien donc ce Fils unique s’est donné de frères par sa grâce ? À combien fait-il part de son héritage ? Pour combien a-t-il enduré la mort ? Nous avions sur la terre un père et une mère ; ils nous ont fait naître pour les fatigues et pour la mort : nous avons trouvé un autre Père et une autre mère, Dieu et l’Église ; ils nous donnent la vie éternelle. Songeons, mes chers amis, de qui nous commençons à être les fils et vivons comme il convient de vivre quand on a un tel Père. Considérez que notre Créateur même a daigné devenir notre Père.
3. Nous venons d’apprendre quel est Celui que nous devons prier et quel immortel héritage nous devons espérer de Celui que nous commençons à regarder comme notre Père : apprenons ce que nous lui devons demander. Que demander à un tel Père ? N’est-ce pas à lui qu’aujourd’hui, hier et avant-hier nous avons demandé la pluie ? C’est peu de chose pour lui ; et vous voyez néanmoins avec quels gémissements, avec quelle ardeur nous demandons la pluie, lorsque nous redoutons la mort, lorsque no craignons ce trépas auquel personne ne saurait

  1. Mt. 6, 9-13
  2. Jl. 2, 32 ; Rom. 10, 13-16