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« Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien : » c’est avouer que tu es le pauvre de Dieu. N’en rougis point : quelque riche que soit un homme sur la terre, il n’en est pas moins le pauvre de Dieu. Le mendiant frappe à la porte du riche ; et ce riche frappe à son tour à la porte d’un plus riche. On lui demande et il demande. S’il n’avait besoin, il ne s’adresserait point à Dieu dans la prière. Mais de quoi le riche a-t-il besoin ? Je l’ose dire, il a besoin de son pain de chaque jour. Pourquoi possède-t-il de tout en abondance ? Pourquoi, sinon parce qu’il a reçu de Dieu ? Et qu’aurait-il si Dieu retirait sa main ? Combien se sont endormis riches et se sont éveillés pauvres ? Si donc il ne lui manque rien, il en est redevable à la miséricorde de Dieu, et non à sa propre puissance.
10. Toutefois, mes bons amis, ce pain que nous mangeons et qui chaque jour restaure notre corps, vous voyez que Dieu le donne, non-seulement à ceux qui le bénissent, mais encore à ceux qui le blasphèment ; il fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et sur les pécheurs. On le loue, il nourrit ; on le blasphème, il nourrit encore. Il attend que tu fasses pénitence, mais si tu ne te convertis, il te condamne. De ce que Dieu donne ce pain vulgaire aux bons et aux méchants, s’ensuit-il qu’il n’y a pas un pain spécial que les enfants savent demander et duquel le Seigneur disait dans l’Évangile : « Il n’est pas bon de prendre le pain des enfants et de le jeter aux chiens[1] ? » Ce pain existe sans aucun doute. Mais quel est-il et pourquoi l’appeler quotidien ? C’est que ce pain aussi est nécessaire ; sans lui nous ne pouvons vivre ; nous ne le pouvons sans ce pain : Il y aurait impudeur à demander à Dieu des richesses ; il n’y en a pas à lui demander le pain de chaque jour. Autre chose est de solliciter de quoi s’enorgueillir, autre chose est de demander de quoi vivre. Néanmoins, comme ce pain visible et sensible se donne aux bons et aux méchants, il est un autre pain quotidien que demandent tes enfants. Ce pain est la divine parole qui nous est distribuée chaque jour. Voilà, le pain quotidien dont vivent nos âmes et non pas nos corps. Ouvriers employés à la vigne, nous en avons besoin maintenant, c’est notre nourriture et non pas notre salaire. L’ouvrier a droit de recevoir deux choses de la part de Celui qui le fait travailler à sa vigne – la nourriture pour ne pas succomber et la récompense pour en jouir. Or notre nourriture de chaque jour sur cette terre est la divine parole constamment distribuée aux Églises ; et la récompense de nos travaux se nomme la vie éternelle. Si de plus l’on entend ; par ce pain quotidien ce que reçoivent les fidèles, ce qui vous sera donné après le baptême, nous avons encore raison de nous écrier : « Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien ; » c’est demander la grâce de nous conduire de manière à n’être pas éloignés de cet autel.
11. « Et pardonnez-nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. » Il n’est point nécessaire d’expliquer que cette demande est en notre faveur. Nous demandons en effet qu’on nous remette nos dettes ; car nous avons des dettes, non pas d’argent, mais de péchés. Et vous ? demande peut-être ici quelqu’un. – Et nous aussi, répondons-nous. – Quoi ! saints évêques, vous aussi vous avez des dettes ? – Nous aussi nous avons des dettes. – Vous aussi ? Mon Monseigneur, ne vous faites pas injure. – Je ne me fais pas injure, je dis la vérité ; nous ayons des dettes. « Si nous disons que nous n’avons pas de péché, nous nous trompons nous-mêmes, et la vérité n’est point en nous[2]. » Et nous sommes baptisés, et nous avons des dettes. Ce n’est pas que le Baptême ait laissé en nous aucune faute à effacer, c’est que dans le cours de la vie nous commettons des fautes pour lesquelles il nous faut le pardon chaque jour. En sortant de ce monde après le baptême on n’a plus de dette, on va sans aucune dette. Mais lorsqu’ensuite ou demeure dans cette vie mortelle, la fragilité même porte à des fautes qu’on a besoin de rejeter, si toutefois elles ne causent pas le naufrage ; et si on n’a pas soin de s’en débarrasser, elles se multiplient bientôt jusqu’à faire sombrer le navire. En demander le pardon, c’est donc préserver du naufrage. Il ne suffit même pas de prier, il faut aussi faire l’aumône. Pour décharger le vaisseau et échapper à la ruine, n’emploie-t-on pas en même temps et les mains et la voix ! Ainsi nous employons la parole quand nous disons : « Pardonnez-nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. » Et nous employons nos mains lorsque nous accomplissons ce précepte : « Partage ton pain avec celui qui a faim, et reçois dans ta demeure l’indigent sans asile[3]. – Enferme ton aumône

  1. Mt. 15, 26
  2. 1 Jn. 1, 8
  3. Is. 58, 7