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Je ne saurais le dire, je ne saurais l’expliquer. Laissons quelque chose à la méditation, laissons aussi quelque chose au silence. Rentre en toi, et te soustrais au bruit. Lis en toi-même, si toutefois tu as su te faire dans ta conscience connue un doux sanctuaire ; ou tu ne produises ni bruit ni querelle, où tu ne cherches ni à disputer ni à contredire avec opiniâtreté. « Sois docile à écouter la parole, afin de la comprendre[1][2]. » Peut-être diras-tu bientôt : « Vous ferez entendre à mon oreille la joie et l’allégresse, et mes os tressailleront dans l’humilité », et non dans l’orgueil.

23. C’est donc assez d’avoir montré ces trois facultés qui s’énoncent séparément et qui agissent inséparablement. Si tu as pu reconnaître ce phénomène dans ta personne, dans un homme, dans un homme qui marche sur la terre et qui porte un corps fragile dont le poids appesantit l’ante ; crois donc que le Père, le Fils et le Saint-Esprit peuvent se montrer séparément sous des symboles visibles, sous des formes empruntées à la créature, et néanmoins agir inséparablement. C’est assez. Je ne dis pas que la mémoire représente le Père, l’intelligence le Fils et la volonté l’Esprit Saint ; je ne dis pas cela, quelque sens que l’on y donne, je ne l’ose. Réservons ces mystères pour de plus grands esprits, et faibles expliquons aux faibles ce que nous pouvons. Je ne dis donc pas qu’entre ces trois facultés et la Trinité il y ait analogie, c’est-à-dire des rapports qui permettent une comparaison véritable ; je ne dis pas cela non plus. Que dis-je, alors ? Je dis qu’en toi j’ai découvert trois facultés qui s’énoncent séparément et qui agissent inséparablement, car le nom de chacune est formé par les trois, sans toutefois convenir aux trois mais à une seule d’entre elles. Et si tu as entendu, si tu as saisi, si tu as retenu cela, crois en Dieu ce que tu ne saurais voir en lui. Tu peux connaître en toi ce que tu es ; mais dans Celui qui t’a fait, comment, quoi qu’il soit, connaître ce qu’il est ? Si tu le peux un jour, tu n’en es pas capable aujourd’hui ; et lors-même que tu le pourras, te sera-t-il possible de connaître Dieu comme Dieu se connaît ?
Que votre charité se contente de ce peu. Nous avons dit ce que nous avons pu ; nous avons, à votre demande, acquitté nos promesses ; ce qu’il faudrait ajouter encore pour élever plus haut votre entendement, demandez-le au Seigneur.

SERMON LIII.

LES BÉATITUDES[3].

Analyse. – Ce discours comprend deux parties. Dans la première, saint Augustin explique d’abord brièvement en quoi consiste chacune des six premières béatitudes : il indique ensuite comment dans chacune la récompense est admirablement proportionnée au mérite ; il rappelle enfin que tous les bienheureux verront Dieu, quoique la vision divine ne soit promise expressément qu’à ceux dont le cœur est pur. La seconde partie est consacrée à enseigner le moyen de parvenir à la vision de Dieu, c’est-à-dire à la pureté du cœur qui mérite de voir Dieu. Or 1° le grand moyen c’est la foi, non pas la foi sans les œuvres, comme celle des démons, mais la foi qui agit par l’amour, et conséquemment la foi accompagnée d’espérance et de charité. 2° Cette foi doit avoir soin de ne pas se faire de Dieu des idées indignes et matérielles. 3° En s’attachant à comprendre qu’elles sont la largeur, la longueur, la hauteur et la profondeur représentées par la croix du Sauveur, c’est-à-dire en pratiquant le bien avec persévérance, avec des intentions toutes célestes et avec la grâce de Dieu, la foi sera, sûrement admise au bonheur de contempler Dieu.

1. La solennité de cette vierge sainte qui a rendu témoignage au Christ et qui a mérité que le Christ lui rendit témoignage, qui a été immolée en public et couronnée en secret, est pour nous un avertissement. Elle nous dit d’entretenir votre charité de ce discours évangélique où le Sauveur vient de nous faire connaître les voies diverses qui conduisent à la vie bienheureuse. Il n’est personne qui n’aspire à cette vie ; on ne peut trouver personne qui ne veuille être heureux, Ah ! si seulement on désirait mériter la récompense avec autant d’ardeur qu’on soupire après la récompense elle-même ! Qui ne prend son essor quand on lui dit : Tu seras bienheureux ? Il devrait donc entendre avec plaisir aussi à quelle condition il le sera. Doit-on refuser le combat lorsqu’on cherche la victoire ? La vue de

  1. Sir. 5, 13
  2. Psa. 50, 10
  3. Mat. 5, 3-8