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de plus rapproché de ton Créateur. Dieu en effet n’a-t-il point formé l’homme à son image et à ski ressemblance ? Inspecte ton âme ; vois si l’image de la Trinité ne t’offrira point quelque vestige de la Trinité ? Mais quelle image es-tu ? C’est une image bien distante du modèle ; c’est une ressemblance et une image bien imparfaite, et qui n’est pas égale à Dieu comme le Fils est égal au Père, dont il est l’image. Quelle différence entre l’image reproduite dans un fils, et l’image représentée par le miroir ? Tu te vois toi-même en voyant ton image dans ton fils, car ton fils a la même nature que toi ; et s’il est autre par sa personne, par sa nature il est le même. Ainsi clone l’homme n’est pas l’image de Dieu comme l’est le Fils unique du Père ; il est plutôt formé à son image et à une certaine ressemblance avec lui. Examine donc si tu ne pourras découvrir en toi trois choses qui s’énoncent séparément et qui agissent toujours ensemble. Examinons ensemble, chacun de nous en soi-même ; examinons en commun et en commun étudions notre commune nature, notre commune substance.
18. Ouvre les yeux, ô homme, reconnais si je dis vrai. As-tu un corps, as-tu un corps de chair ? – Oui, réponds-tu. Comment, sans cela, pourrais-je occuper une place ici, me transporter d’un lieu dans un autre ? Ne me faut-il pas, pour entendre ce qu’on me dit, des oreilles de chair, et des yeux de chair pour voir qui me parle ? – C’est une chose sûre, tu as un corps ; il ne faut pas chercher longtemps ce qui est sous nos yeux. Autre chose : Qu’est-ce qui agit par le corps ? L’oreille entend, mais elle ne te fait pas entendre ; il y a au dedans quelqu’un qui entend par elle. Tu vois par l’œil ; mais regarde l’œil lui-même. Te contenteras-tu de considérer la maison sans t’occuper de celui qui l’habite ? L’œil voit-il par lui-même ? N’y a-t-il pas en lui quelqu’un qui voit par lui ? Je ne dis pas L’œil d’un mort ne voit point, quand il est sûr que l’âme a quitté le corps ; je dis que l’œil d’un homme occupé d’autre chose ne voit pas ce qui est devant lui. C’est donc l’homme intérieur qu’il faut considérer en toi. C’est là surtout qu’il faut chercher l’idée de trois choses qui s’énoncent séparément et qui agissent ensemble. Qu’y a-t-il dans ton âme ? Il est possible qu’en scrutant j’y découvre beaucoup de choses ; mais tout d’abord il s’en présente une qui est facile à saisir. Qu’y a-t-il dans ton âme ? Rappelle tes idées, réveille tes souvenirs. Je ne demande pas que tu me croies sur parole ; n’accepte ce que je vais dire qu’autant que tu le reconnaîtras en toi. Regarde donc. Mais, ce qui nous a échappé, voyons d’abord si l’homme est l’image du Fils seulement, ou du Père, ou bien s’il l’est à la fois du Père, et du Fils, et conséquemment du Saint-Esprit. Il est dit dans la Genèse : « Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance [1]. » Ainsi le Père ne l’a point fait sans le Fils ni le Fils sans le Père. « Faisons l’homme à notre ressemblance. – Faisons ; » et non pas : je ferai, fais, qu’il fasse, mais « faisons à l’image », non pas à ton image ou à la mienne, mais « à la nôtre. »
19. Je questionne donc et j’interroge ce qui est bien dissemblable. Ne dites pas : Comment ! c’est ce qu’il compare à Dieu ! Je l’ai dit et redit, je vous ai prévenus et j’ai pris mes, précautions les termes de comparaison sont à une distance infinie ; il y a entre eux la distance du ciel à la terre, de l’immuable au muable, du Créateur à la créature, du divin à l’humain. Retenez avant tout cette observation, et que personne ne m’accuse s’il y a tant d’éloignement entre les deux termes ; que nul ne-me montre les dents au lieu de m’ouvrir l’oreille ; tout ce que j’ai promis de faire voir c’est trois choses qui s’énoncent séparément et qui agissent inséparablement. Quant à leur dissemblance plus ou moins considérable avec la Trinité toute puissante, il n’en est pas question pour le moment ; ce que j’entreprends, c’est de montrer que dans cette créature infirme et muable il y a trois facultés qui se peuvent considérer séparément et qui agissent indivisiblement : O pensée charnelle ! ô conscience opiniâtre et infidèle ! pourquoi douter que cette ineffable Majesté possède ce que tu peux discerner en toi-même ? Voyons, ô homme, réponds-moi : As-tu de la mémoire ? Mais si tu n’en as point, comment as-tu retenu ce que j’ai dit ? Peut-être as-tu oublié ce que tu viens d’entendre ; mais cette parole : J’ai dit ; mais ces deux syllabes, tu ne les retiens que par la mémoire. Comment saurais-tu qu’il y a en deux, si tu avais oublié la première quand je prononce la seconde ? Pourquoi d’ailleurs m’arrêter plus longtemps ? Pourquoi me presser, me forcer de prouver cela ? Il est clair que tu as de la mémoire.

  1. Gen. 1, 36